Les antidépresseurs ISRS et leur rôle chez les femmes

Rédaction de Diane Saibil en collaboration avec Action pour la protection de la santé des femmes, avec des remerciements à Janet Currie et Peggy Kleinplatz pour leurs précieux commentaires.
Octobre 2005

 

Les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine, communément appelés les « antidépresseurs ISRS » ou simplement « ISRS », sont une classe de médicaments prescrits couramment par les médecins pour traiter la dépression et l’anxiété. Ils sont mieux connus sous les noms Prozac, Paxil, Zoloft, Celexa, Luvox et Effexor.* En 2003, plus de 15 millions d’ordonnances ont été établies pour des antidépresseurs au Canada, et ce chiffre ne fait qu’augmenter depuis. Deux tiers de ces ordonnances sont délivrées à des femmes.

Cette fiche d’information examine certains enjeux de l’utilisation de ces médicaments, notamment les raisons pour leur emploi généralisé ainsi que leurs effets et propose des solutions de rechange.

Pourquoi prescrit-on tant de médicaments ISRS aux femmes ?

Plusieurs facteurs convergent pour expliquer le recours de plus en plus fréquent aux antidépresseurs ISRS par les femmes. Le nombre de diagnostics de dépression et de « troubles » des humeurs chez les femmes est monté en flèche au moment même où une nouvelle approche au traitement de ces désordres a été mise de l’avant par les sociétés pharmaceutiques et préconisée par de nombreux professionnels de la santé.

La dépression, un état à définition ouverte

Les femmes traversent des périodes d’anxiété et des sautes d’humeur à cause des fluctuations hormonales normales de la vie accompagnant les règles, la grossesse, l’allaitement et la ménopause. De plus, de nombreuses femmes sont aux prises avec divers facteurs de stress : logements et services de garde inadéquats, responsabilités familiales, rôles à jongler, emplois sous pression, pauvreté, mauvais traitements sexuels, violence et absence de grande famille et de son soutien.

Il n’y a aucun doute que la dépression clinique grave est une véritable maladie et on comprend bien pourquoi les gens optent pour des antidépresseurs dans l’espoir d’obtenir un soulagement. Mais une vaste gamme de malaises affectifs bénins sont maintenant perçus comme autant de maladies nécessitant une intervention médicale. Les femmes ont toujours eu des sautes d’humeur, des périodes d’anxiété et des états dépressifs passagers. Mais depuis quelques décennies, la tristesse, les déprimes et l’anxiété sont devenus des désordres ou des problèmes de nature médicale. En 2003 par exemple, selon des données de IMS Health, il y aurait eu 4,8 millions de consultations médicales de femmes qui se seraient terminées par une ordonnance pour un médicament pour traiter une dépression.

L’augmentation du nombre de femmes ayant un diagnostic de dépression, parfois en l’absence de symptômes convaincants, survient dans la foulée d’une nouvelle approche thérapeutique dite de « psychiatrie biologique ». Selon cette approche, plutôt que de s’attaquer aux facteurs sociaux, culturels, économiques ou de la vie pouvant être à l’origine d’une dépression ou de l’anxiété, on montre aux médecins, et on a convaincu les patients, que la cause des symptômes est de nature biologique. Il semble donc logique qu’un médicament puisse être approprié et nécessaire.

Ce n’est pas par hasard si cette évolution des mentalités entourant le traitement d'une dépression bénigne est survenue après la mise au point des médicaments ISRS et le lancement de vastes campagnes de marketing par leurs fabricants. Au cours des années 1980, les sociétés pharmaceutiques ont commencé à promouvoir activement la notion que les gens déprimés avaient besoin de médicaments ISRS pour augmenter leurs niveaux de sérotonine, à l’instar des diabétiques contraints de s’injecter de l’insuline. Les sociétés pharmaceutiques continuent de promulguer cette théorie malgré le fait que de nombreux chercheurs aient sérieusement ébranlé ses fondements.

Les médicaments ISRS sont-ils nocifs ?

Les antidépresseurs ISRS peuvent avoir des effets sur les humeurs et le fonctionnement. Certaines personnes se sentent de meilleure humeur lorsqu’elles en prennent. Mais comme c’est le cas des autres pharmacothérapies, les ISRS peuvent aussi être nocifs. Certains de leurs effets, dont les suivants, sont déjà bien attestés :

Nous savons peu de choses au sujet des effets nocifs possibles des ISRS. Bon nombre des essais cliniques effectués pour évaluer les ISRS n’ont duré que six semaines et très peu d’entre eux se sont échelonnés sur six mois ou, à l’occasion, un an. Or, un traitement aux ISRS dure souvent beaucoup plus longtemps, parfois même pendant des années.

Les antidépresseurs ISRS créent-ils une accoutumance ?

Les gens qui prennent des antidépresseurs ISRS constatent qu’ils ont beaucoup de difficulté soit à en réduire la dose, soit à éliminer complètement le médicament, un phénomène décrit en détail par de nombreux auteurs (voir Pour en savoir plus long ci-dessous). Le problème principal vient de l’« effet de rebond », phénomène bien connu où les symptômes à l’origine d’une pharmacothérapie (comme la tristesse ou l’anxiété) réapparaissent temporairement avec une plus grande intensité lorsqu’on tente de réduire ou d’éliminer le médicament. Par conséquent, beaucoup de gens poursuivent une pharmacothérapie indéfiniment, parfois en augmentant la dose ou en prenant d'autres médicaments psychiatriques. Les effets de désaccoutumance de ce médicament peuvent prendre des jours, sinon des semaines, à se manifester.

Les antidépresseurs ISRS peuvent également causer des torts graves et créer à l’occasion une accoutumance. La fréquence avec laquelle on prescrit ces médicaments semble indiquer qu’ils sont très efficaces, mais ce n’est pas ce qu’indiquent les études. De fait, de nombreux essais ont démontré que les ISRS sont à peine plus efficaces que des placébos.

Quelles sont les solutions de rechange aux ISRS ?

La psychothérapie
Lorsqu’ils ont besoin de faire soigner une dépression, beaucoup de gens optent d’abord pour une psychothérapie. Il a été démontré que la psychothérapie est au moins aussi efficace, et parfois même plus efficace, que les médicaments antidépresseurs. Les études ayant suivi des patients pendant un an après la fin des traitements ont constaté que les personnes ayant fait une psychothérapie avaient moins de rechutes que celles soignées aux antidépresseurs. (Voir « The Myth of the Magic Pill » sous Pour en savoir plus long ci-dessous.)

Des professionnels de la santé et des services sociaux de divers types et dans divers milieux ont reçu une formation leur permettant d’offrir des services de psychothérapie et d’assistance socio-psychologique. Bien que certains de ces services soient assurés par notre système de santé, d’autres ne sont remboursés que par des régimes d’assurance privés, le plus souvent de façon assez limitée. Cette couverture inégale pourrait également expliquer en partie l’augmentation du nombre d’ordonnances d’ISRS émises par les médecins de notre système de santé.

L’exercice
Des activités physiques régulières peuvent être un traitement efficace contre la dépression et l’anxiété. Ainsi, dans une étude de trois ans, des gens ayant reçu un diagnostic de « désordre dépressif grave bénin ou moyen » ont connu une amélioration significative de leur bien-être après un programme de douze semaines d’exercices cardiovasculaires. À condition que les exercices soient assez vigoureux (conformément aux normes de santé publique), trois périodes d’exercice par semaine suffisent pour produire cet effet. Bien qu’un régime d’exercice ne soit pas un choix réaliste pour tout le monde, c’est une option qui mérite considération lorsque possible.

Une évolution des mœurs sociales
On peut également mettre en place des solutions de rechange aux ISRS au niveau social et non seulement au niveau individuel. On pourrait ainsi régler des problèmes culturels et de mode de vie et fournir des soutiens appropriés pour supprimer ou atténuer les nombreux facteurs de stress externes que subissent les femmes qui s’efforcent de « venir à bout de vivre ». Apporter les changements de société nécessaires dépasse largement les capacités individuelles, mais ensemble, les femmes ont su se concerter pour partager leurs expériences, former des groupes et souscrire à un vaste mouvement en faveur du changement. Les femmes aux prises avec les symptômes d’une dépression, de l’anxiété et des autres « troubles » des humeurs qui rendent la vie quotidienne difficile ont tout intérêt à bien comprendre que la cause sous-jacente de leurs symptômes ne se trouve pas dans un défaut ou un déséquilibre chez elles. Ce qu'elles vivent est plutôt une réaction normale à une vie sans soutien adéquat.

Les solutions de rechange comme l’activité physique et la psychothérapie peuvent prendre plus de temps ou exiger plus d’efforts avant que l’on ne constate les premiers résultats, mais elles n’ont pas d’effets secondaires nocifs et ont de meilleures chances de s’attaquer à la cause profonde de la dépression. Et même si l’on devient dépendant de son régime d’exercice, ce n’est là qu’un bienfait additionnel, puisque cela ne fera qu’améliorer d’autres aspects de sa santé.

Certaines personnes ont également pu se soigner à l’aide de la méditation consciente, de la luminothérapie et de modifications du régime alimentaire.

Si votre médecin vous conseille un antidépresseur ISRS…

Certaines femmes consultent leur médecin expressément pour obtenir des antidépresseurs ISRS, mais parfois, ce médicament est prescrit de façon tout à fait inattendue. Depuis que les médicaments ISRS sont sur le marché, les fabricants et les associations professionnelles encouragent les professionnels de la santé de rechercher des signes de dépression et d’anxiété chez leurs patientes. Par conséquent, ces antidépresseurs sont prescrits dans de nombreuses situations où ils ne sont pas forcément nécessaires. Les femmes qui se voient délivrer une telle ordonnance ont tout intérêt à se demander si elles ont vraiment besoin d’un antidépresseur ISRS. Voici quelques questions à poser à un professionnel de la santé qui vous conseille de prendre un tel médicament :

Vous désirez mettre fin à une thérapie au ISRS ?

N’ARRÊTEZ PAS de prendre le médicament sans l’aide d’un professionnel qui connaît bien la thérapie d’interruption des ISRS. Vous pouvez connaître des symptômes de privation graves et même périlleux si vous réduisez la dose ou arrêtez subitement de prendre vos médicaments. Il faut une aide professionnelle pour se désaccoutumer en toute sécurité de ces médicaments.

Les effets de la désaccoutumance, qui sont souvent les mêmes que les symptômes pour lesquels le médicament a été prescrit, peuvent comprendre une dépression, des insomnies, de l’agitation et des sensations d’électrochocs d’une intensité accrue, pour n'en nommer que quelques-uns. Le fait d’avoir ces symptômes au cours de l’interruption d’une pharmacothérapie n’est pas nécessairement signe d’une maladie.

 

Les médicaments ISRS et les relations sexuelles

Les antidépresseurs ISRS peuvent avoir un effet négatif sur le désir sexuel, l’excitation sexuelle et l’orgasme. Ces effets peuvent être particulièrement sévères chez les femmes qui prennent en parallèle certains contraceptifs hormonaux. Il est particulièrement inquiétant à noter que les effets indésirables ne prennent pas toujours fin avec le traitement. Les effets semblent mettre beaucoup de temps à se dissiper et peuvent avoir un effet à long terme sur la fonction sexuelle. Comme l’a fait remarquer Janet Currie, qui écrit souvent sur ce sujet, « Parce que les ISRS peuvent mener à une aggravation de la dépression, à un désintérêt ou un détachement affectif, à une diminution des activités affectives, à la perte de mémoire et à la confusion, ces effets, conjointement avec le dysfonctionnement sexuel, peuvent avoir des conséquences négatives sur les relations intimes. »

 

Les antidépresseurs ISRS et les adolescents

Aucun antidépresseur n’a été approuvé au Canada pour des personnes de moins de 19 ans. Aux États-Unis, un antidépresseur a été approuvé pour les enfants de 8 ans et plus, mais il est accompagné d’avertissements sévères sur les effets indésirables graves possibles, y compris l’apparition de tendances suicidaires. Comme l’indique le bulletin Therapeutics Initiative Newsletter (printemps, 2004), il y a peu de preuves démontrant l’efficacité des ISRS chez les adolescents. Au contraire, de plus en plus d'études indiquent que ces médicaments peuvent avoir des effets nocifs considérables, y compris des pensées et des gestes suicidaires, de l’hostilité et de l’agressivité. Néanmoins, on prescrit de plus en plus ces médicaments à des adolescentes et adolescents. Avant d’accepter que des jeunes sous leur garde suivent une pharmacothérapie, les femmes peuvent envisager d’offrir une aide pour améliorer les habitudes de sommeil et le régime alimentaire de ces jeunes et les encourager à faire de l’exercice régulièrement, en plus de mieux assumer leurs responsabilités parentales et d’aider leurs enfants à régler leurs problèmes à l’école ainsi que ceux attribuables aux autres facteurs de stress dans leur vie.

 

POUR EN SAVOIR PLUS LONG

La marchandisation de la dépression : la prescription des ISRS aux femmes, par Janet Currie, dans le site Internet d’Action pour la protection de la santé des femmes, à www.whp-apsf.ca. Également disponible en version imprimée.

The Antidepressant Solution, a step-by-step guide to safely overcoming antidepressant withdrawal, dependence and addiction, de Joseph Glenmullen (Simon & Schuster, 2005).

The Myth of the Magic Pill, de Barry Duncan, Scott Miller et Jacqueline Sparks, dans www.talkingcure.com/reference.asp?id=66

 

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