Quand l'État confie la «protection» de la santé aux entreprises

par Louise Vandelac
avec la collaboration de Rosanna Baraldi et Marie-Hélène Bacon, «Quand l'État confie la protection de la santé aux entreprises», Éthique publique, vol. 1, Liber et INRS-Chaire Fernand-Dumont, printemps 1999.


C'est dans l'ignorance du public, entretenue par le silence tant des médias que des instances politiques et éthiques, que le gouvernement canadien procède, depuis plusieurs années déjà, au démantèlement de l'une des pièces majeures de son système de santé, la Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé (DGPS), l'équivalent de la Food and Drug Administration américaine. La dgps est en effet chargée de superviser les activités liées à l'innocuité, à la qualité et à l'efficacité des aliments et des médicaments, et de surveiller la qualité et les risques environnementaux pour la santé. Elle permet donc au ministre de s'acquitter de ses fonctions en matière d'application des lois relatives à la sécurité des aliments, des médicaments et des produits de santé.

En juillet 1998, le ministère de la Santé a publié un document intitulé Responsabilités partagées, vision partagée, le renouvellement de la législation fédérale en matière de protection de la santé, où il annonce, sous les euphémismes les plus étonnants, son intention de démanteler la dgps et la Loi sur la santé. Qualifié de «transition», ce projet a notamment pour objectif de décharger le ministère de la Santé de ses responsabilités en matière de sécurité des aliments et des drogues pour les confier à l'industrie. Selon ce scénario, le consommateur serait ainsi libre de faire «ses choix» et d'en assumer alors la «responsabilité». Or, demande la Coalition canadienne sur la santé (CCS), comment ce dernier peut-il retracer la provenance d'un sac de sang contaminé ou identifier le produit alimentaire qui a pu avoir sur lui des effets nocifs? Cette étonnante conception de la protection de la santé, qui confie aux loups la responsabilité de la bergerie et aux moutons celle de faire un choix éclairé, n'est pas sans poser quelques problèmes de conflits d'intérêts, de santé publique et d'éthique.

haut

Une déresponsabilisation des pouvoirs publics

Précisons d'entrée de jeu que, contrairement au sens usuel du mot, la «transition» dont parle le ministère ne marque pas l'amorce, mais bien le terme d'un démantèlement insidieux commencé depuis plus de vingt ans. C'est le point d'aboutissement d'un lent travail d'effritement des pouvoirs et des compétences scientifiques et médicaux et d'un sourd processus de déréglementation et de privatisation, mis en évidence dès le début des années quatre-vingt-dix par plusieurs observateurs attentifs, dont le journaliste d'enquête Nicolas Regush, dans son ouvrage Safety Last(2). Toutefois, ce démantèlement s'est considérablement accéléré au cours des dernières années, avec de sombres coupes budgétaires, la fermeture de plusieurs laboratoires, la dispersion du personnel qualifié, et la création d'agences spécialisées, aux ressources professionnelles et financières anémiées et au mandat «harmonisé» aux intérêts de l'industrie.

Ainsi, par exemple, depuis cinq ans, la dgps a perdu plus de la moitié de son budget global, qui est passé de 237 millions en 1993-1994 à 118 millions en 1999-2000, alors que ses dépenses, qui constituaient 17% de celles du ministère en 1993-1994, n'en représentaient plus que 10% en 1996-1997. Par ailleurs, le budget octroyé à l'examen de la sécurité des aliments est passé de 63,1 millions en 1993-1994 à seulement 22,5 millions en 1997-1998, et celui de la sécurité des médicaments, de 69,5 millions à 26,2 millions. Au cours de la même période, ses projets d'immobilisations ont été réduits de 80% dans le secteur des aliments et de 83% dans le secteur des médicaments. Ces compressions, qui ont conduit à fermer plusieurs laboratoires de recherche indépendants, ont toutefois été largement camouflées par l'augmentation des budgets de gestion des programmes, d'administration et d'équipements informatiques, qui ont grimpé de 96 millions en 1993-1994 à 153,4 millions en 1996-1997(3).

Selon la CCS, dès le début de 1997, tout le bureau de recherche sur les médicaments a été discrètement démantelé de même que les laboratoires d'enquêtes indépendants sur les produits pharmaceutiques. Du même coup, ajoute-t-elle, des scientifiques réputés pour leurs recherches sur la qualité ou la toxicité des médicaments, la bioéquivalence et les applications cliniques ont été dispersés. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils alors procéder à un examen scientifiquement serré et argumenté des déclarations des entreprises pharmaceutiques?

En juillet 1997, ce sont les laboratoires d'enquête et de recherche sur la sécurité des produits alimentaires qui ont été démantelés ou vidés de leur substance, alors que plusieurs scientifiques s'en allaient travailler aux États-Unis. Les compressions ont touché les enquêtes sur la détection des micro-organismes mortels .et des bactéries nocives, des produits chimiques toxiques, des agents de conservation, des pesticides, herbicides, insecticides, fongicides et des organismes génétiquement modifiés dans les aliments(4).

Certes, comme le souligne la ccs, le ministère de la Santé pense créer «un bureau des sciences», petit centre de documentation relié par internet aux compagnies pharmaceutiques et aux instituts de recherche financés par l'industrie, mais c'est là une conception pour le moins inquiétante du travail scientifique requis pour assurer la protection de la santé. Et il n'est guère plus rassurant de voir que, tout en dépouillant la dgps de pouvoirs réglementaires essentiels en matière de sécurité des produits, le ministère ouvre d'autres agences, manifestement plus près de l'industrie.

Ainsi, les inspecteurs des aliments de la dgps ont été transférés à l'Organisme canadien en inspection des aliments qui a, entre autres missions, celle de promouvoir le commerce et l'industrie de l'alimentation. Est-ce cela qui explique que l'organisme a déjà aboli trois cents postes d'inspecteurs et se propose d'éliminer 80% des postes restants d'ici deux ans, laissant alors l'essentiel du travail d'inspection aux abattoirs et aux usines de transformation alimentaire(5)? Aurait-on déjà oublié que c'est la même logique de déréglementation de l'industrie agro-alimentaire qui, en Angleterre, a été associée à la crise de santé publique de la maladie de la vache folle, ce qui a d'ailleurs forcé le gouvernement de Tony Blair à faire marche arrière? Le Canada aurait-il une fois de plus cet art consommé de prendre le train en retard et d'oublier de descendre?

haut

L'industrie, nouveau client du ministère de la Santé

La déréglementation en cours a également réorienté certains services qui n'ont désormais de public que le nom. Ainsi, selon la ccs, sous prétexte de recouvrer une partie des coûts, l'essentiel des budgets de financement pour l'approbation des médicaments provient maintenant de l'industrie pharmaceutique, soit, en 1997, 24,8 des 26,2 millions de la dgps consacrés à la sécurité des médicaments. Quand l'industrie devient ainsi le client direct du ministère de la Santé, c'est la mission même de la dgps qui en est profondément modifiée.

En témoigne d'ailleurs de façon éloquente ce bulletin interne du ministère(6), qui présente les directives au personnel sous forme de questions et réponses: «Qui est votre client? — Votre client est le bénéficiaire direct de vos services. Souvent, il s'agit de la personne ou de l'entreprise qui paie les services. Mais qu'en est-il de ce client qu'est le public? — Parfois, le client immédiat, c'est le consommateur, par exemple lorsqu'on traite ses plaintes ou lorsqu'on lui donne des renseignements. On préférera cependant parler de la société en général en termes de groupe d'intérêt. Comment une stratégie centrée sur le client s'inscrit-elle dans un contexte réglementaire? — La satisfaction du client dépend à la fois de ce qu'on lui offre (politiques, produits, ou services) et de la manière de s'y prendre. En adoptant une stratégie de service centrée sur le client, les organismes réglementaires peuvent aider ceux qui souhaitent se conformer aux règlements à le faire aussi facilement que possible, les encourageant à se conformer volontairement aux règles, s'assurant ainsi d'une bonne relation avec les milieux faisant l'objet de la réglementation et le public en général, tout en améliorant le climat de travail du personnel de Santé Canada.» Avec le même aplomb, les auteurs de cet étonnant bulletin concluent: «Il n'y a pas de conflit d'intérêt entre le fait d'offrir des services à une clientèle et celui de fonctionner dans un contexte réglementaire.»

Peut-on avouer plus clairement à quel point la «transition» signe un véritable détournement du mandat de cet organisme public, désormais destiné, nous dit-on, à servir son client qu'est l'industrie, alors que le public ne serait plus — l'expression est suave — qu'un simple groupe d'intérêt? Pour réussir à lever ainsi une partie de la réglementation sur la santé et la sécurité des produits, on a d'abord invoqué de soi-disant lourdeurs et lenteurs administratives compromettant la compétitivité, et on a inféodé la notion de risque aux mêmes prétendues exigences économiques.

Ainsi, dès les années quatre-vingt, les délais des travaux d'enquête et de surveillance de la dgps concernant l'innocuité et la sécurité des produits pharmaceutiques et alimentaires ont commencé à être considérés comme des freins aux retours rapides sur les investissements. C'est pour cela, entre autres, que l'on a adopté certaines recommandations du rapport Gagnon permettant de réduire de moitié le temps d'examen des médicaments, ainsi que le projet de loi C91 augmentant de plusieurs années l'exclusivité des brevets sur les médicaments brevetés, ce qui, avec les généreuses mesures d'encouragement fiscal et autres, contribue à expliquer que les médicaments coûtent nettement plus cher au Canada que dans les autres pays industrialisés(7).

La DGPS, qui a dû s'adapter aux nouvelles exigences du marché, comme nombre d'autres services publics, a donc vu ses pouvoirs s'affaiblir progressivement, selon une stratégie désormais classique(8). On augmente de façon continue la charge de travail sans augmenter le personnel et on dé-professionnalise la direction des services. On réoriente progressivement le mandat des professionnels, qui passe alors de la protection de la santé du public à la protection de la santé économique des entreprises. La motivation des employés ternit, certains des meilleurs experts quittent et on recourt alors à des évaluateurs extérieurs, souvent formés à la hâte. Tous ces facteurs suscitent controverses et critiques, dont on se servira ensuite pour réduire davantage les pouvoirs des chercheurs. Avant de modifier la loi, on réduit budgets et services. La fermeture des laboratoires et l'exode des experts qui s'ensuit allongent les délais d'analyse. On attribue alors ces délais à l'inefficacité des fonctionnaires et à une réglementation tatillonne qu'il faut «assouplir», ce qui justifie de faire appel à «l'efficacité» proverbiale du secteur privé.

À ce discours de recherche de pseudo-efficacité visant à répondre à la compétitivité s'ajoute, comme on l'a vu dans le document de juillet 1998, un discours de gestion des risques qui prend le pas sur la protection de la santé. Selon la ccs, cette conception de la gestion des risques s'inspire directement d'un rapport du Conseil du trésor, selon lequel l'enjeu serait de réduire les attentes du public et donc les coûts de gestion des risques, désormais assumés par les fabricants et les consommateurs. Ainsi déchargé de ces responsabilités, l'État pourrait se concentrer sur la gestion des crises grâce à une habile stratégie de communication. Bref, à défaut de limiter les risques, il gère l'opinion!

Cette conception de la gestion des risques invite donc l'industrie à s'autoréguler et incite le consommateur à faire «librement» ses choix à partir de «l'information publicitaire» fournie par le fabricant. Ainsi, la population assume le poids des risques — à moins, cela va de soi, de pouvoir démontrer la responsabilité du fabricant. En outre, le ministère envisage d'éliminer les interdits relatifs à la publicité pharmaceutique faite directement aux consommateurs. Compte tenu du caractère partiel et partial, et parfois trompeur, de la publicité sur les médicaments prescrits et en vente libre, tant pour les médecins que pour les consommateurs, question largement documentée dans la littérature scientifique(9), n'y a-t-il pas lieu de craindre une augmentation des effets iatrogènes liés à une consommation médicamenteuse inappropriée?

haut

Prothèses mammaires, sang contaminé et somatotropine

Ce qu'on appelle pudiquement «transition» constitue donc une remise en question radicale des notions de service public et de protection de la santé, qui sont pourtant les éléments fondateurs d'une loi qui a servi depuis plus de cinquante ans de balise à la dgps. En effet, en matière de santé, le rapport entre le public et le gouvernement repose sur une relation de confiance, qui reconnaît aux employés de l'État les compétences et les pouvoirs pour assurer la sûreté des produits.

Dans un contexte de libre marché, où l'industrie pharmaceutique et alimentaire cherchent le maximum de rentabilité à court terme, il est tout à fait normal que l'industrie fasse l'objet d'une saine méfiance. Il est tout aussi normal qu'elle soit réglementée par une instance externe, neutre et rigoureuse qui, représentant les intérêts de la population, dispose des moyens financiers, législatifs, réglementaires et scientifiques requis pour agir. Bien que jusqu'à récemment l'approbation d'un produit par la dgps ait constitué une garantie relative de son innocuité, les scandales de la prothèse Meme(10) et du sang contaminé, ajoutés à l'effritement des pouvoirs et des outils d'évaluation, ont commencé à éroder, sinon à rendre complètement inopérantes, les bases mêmes de l'indispensable relation de confiance entre citoyens et organisme réglementaire.

Or, paradoxalement, c'est au lendemain de l'affaire du sang contaminé, alors que la commission Krever accuse le laxisme de l'encadrement réglementaire de la dgps, que le ministère amorce sa transition. Comble d'ironie, le processus s'accélère au moment où, à la suite des scandales de la prothèse mammaire et du sang contaminé, le ministère fait l'objet de poursuites de près de huit milliards. Par ailleurs, la Gendarmerie royale y mène deux enquêtes, dont l'une porte sur la destruction des bandes sonores et des comptes rendus des réunions du Comité canadien de sang de 1982 à 1989.

D'autre part, le récent scandale entourant les pressions exercées par la multinationale Monsanto pour l'approbation de l'hormone génétiquement modifiée de la somatotropine bovine, destinée à augmenter la production laitière, illustre également à quel point l'affaiblissement du travail d'analyse mené par la dgps met en danger la santé de la population. Sans entrer dans le détail des dénonciations largement médiatisées du groupe de chercheurs de la dgps qui, l'automne dernier, se sont opposés aux pressions auxquelles ils ont été soumis, soulignons que leur rigueur professionnelle semble avoir été plus que justifiée.

Certes, l'Association de médecine vétérinaire du Canada a conclu à la nocivité du produit chez les animaux; un rapport du Sénat a demandé un moratoire sur la question, et le ministère de la Santé n'a pas approuvé la somatotropine pour l'instant. Quant au rapport d'experts sur les effets de l'hormone de croissance sur la santé humaine, il prétend, dans le résumé, qu'il n'y a aucune raison biologique de s'inquiéter pour la santé humaine, mais souligne, dans le rapport même, que des taux élevés de IGF-1 peuvent être associés à différents types de cancers(11).

C'est d'ailleurs ce qu'affirme dans Science, le 23 janvier 1999, le docteur Samuel Epstein, professeur en santé au travail et en santé environnementale à l'École de santé publique du centre médical de l'université d'Illinois et sommité internationale des effets toxiques et carcinogènes des polluants environnementaux. Le docteur Epstein rapporte en effet que les hommes ayant un taux sanguin élevé de l'hormone (IGF-1) présente dans la somatotropine sont quatre fois plus susceptibles de développer un cancer de la prostate que les hommes ayant un taux d'IGF-1 moins élevé. Rappelons qu'aux États-Unis, le taux de cancer de la prostate, cancer le plus fréquent chez les hommes non fumeurs, a augmenté de 180% depuis 1950. En 1998, ce cancer a été diagnostiqué chez 185 000 hommes et 39 000 en sont morts(12).

Or, depuis 1995, à la suite de l'approbation par le gouvernement américain de la somatotropine bovine produite par Monsanto, la population américaine ingère, via le lait, dix fois plus d'IGF-1 qu'auparavant. Bien que ce lait contenant de la somatotropine diffère au plan chimique, nutritionnel, pharmacologique et immunologique du lait naturel, ce composant n'est pas indiqué; l'absence d'étiquetage rend ainsi impossible le choix éclairé des consommateurs.

Le 21 mars 1999, le docteur Epstein, également président de la coalition pour la prévention du cancer, émettait un communiqué de presse faisant état de la publication par la Communauté européenne du rapport d'un comité scientifique international de seize experts. Ce rapport confirmait, à partir de données expérimentales et épidémiologiques, que les niveaux excessifs d'IGF-1 dans le sang constituent des risques sérieux pour le cancer de la prostate et du sein et qu'ils peuvent également accentuer la croissance et le caractère invasif des cellules cancéreuses. Quant aux résidus d'antibiotiques, utilisés pour traiter les mastites chez les vaches à qui on donne de la somatotropine, ils risquent d'augmenter les résistances aux antibiotiques dans l'ensemble de la population.

Selon Epstein, non seulement la Food and Drug Administration a ignoré ces faits, pourtant scientifiquement documentés, mais elle aurait aussi approuvé la somatotropine sur la foi de données confidentielles de Monsanto. Le rapport du comité de la Communauté européenne, ajoute Epstein, soulève en outre de sérieuses questions de compétence et de conflits d'intérêt du codex, l'organisme chargé par l'Organisation mondiale de la santé d'établir les standards internationaux de sécurité alimentaire et qui a également approuvé l'hormone de croissance génétiquement modifiée de Monsanto!

Dans l'actuel contexte d'affaiblissement des organismes réglementaires, de plus en plus soumis aux exigences de l'industrie, on n'est guère rassuré par la stratégie joliment qualifiée «d'harmonisation de l'approbation des produits», étonnant jeu de dominos consistant à justifier l'approbation d'un produit sur son approbation antérieure dans un autre pays. Et en termes de protection de la santé publique, il est pour le moins périlleux de compter sur les seuls sursauts de professionnalisme et de sens éthique de certains chercheurs ayant le courage, comme ceux de la dgps dans le dossier de la somatotropine, de dénoncer publiquement leur employeur pour arriver à faire correctement leur travail.

haut

L'approbation des aliments génétiquement modifiés

Le dossier de l'hormone de croissance, ici à peine effleuré, jette pourtant un éclairage cru sur les risques pour la santé résultant de l'affaiblissement des dispositifs réglementaires et de leur inféodation à l'industrie. Or, cette situation est d'autant plus inquiétante que le démantèlement de la dgps survient au moment même où l'industrie agro-alimentaire et pharmaceutique amorce des transformations génétiques sans précédent sur les plantes, les animaux, les aliments, les médicaments et bientôt les nutrimédicaments.

Tandis que la dgps, responsable de l'innocuité des produits génétiquement modifiés, a des moyens plus réduits que jamais, les aliments génétiquement modifiés sont introduits sur le marché sans étiquetage ni véritable débat public. En outre, les cultures avec des semences comprenant des organismes génétiquement modifiés se multiplient à un rythme effarant alors que l'impact à moyen et à long terme de ces organismes sur la santé et sur l'environnement est largement inconnu et parfois déjà problématique.

Au même moment, au Royaume-Uni, ce pays dont nous calquons encore les politiques de déréglementation de l'époque Thatcher, le parlement, après des mois de débats publics et de scandales politico-scientifiques autour de l'affaire Pusztai, a dû, le 21 mars 1999, obliger tous les commerces, supermarchés, cafés et restaurants à étiqueter la nourriture qu'ils vendent afin de préciser si elle contient du maïs ou du soja génétiquement modifié, sous peine d'amendes allant jusqu'à huit mille dollars américains(13). Or, cette tâche n'est guère aisée puisqu'en Europe, comme en Amérique du Nord, environ 60% des aliments transformés contiendraient déjà des organismes génétiquement modifiés!

Cependant, les consommateurs européens sont si critiques à l'égard de ces organismes et du risque qu'ils comportent pour la santé et pour l'environnement que sept des principaux groupes de supermarchés européens se sont alliés pour supprimer tout organisme génétiquement modifié des produits portant leurs marques et qu'ils ont fait appel aux services d'un laboratoire indépendant afin de procéder à des vérifications pour s'en assurer, tant dans les champs que dans les chaînes de transformation. En fait, l'hostilité des consommateurs à l'égard des organismes génétiquement modifiés introduits dans l'alimentation est telle que le parlement britannique a dû non seulement modérer son soutien initial à la nourriture génétiquement modifiée, mais encore, il semble prêt à obtempérer à la demande d'un moratoire de trois ans sur la culture d'organismes génétiquement modifiés(14).

Pendant ce temps, au Canada, c'est dans l'ignorance générale que, de 1988 à 1997, on a effectué plus de trois mille essais sur des végétaux génétiquement modifiés, soi-disant pour augmenter la résistance aux herbicides, au pourrissement ou à des insectes et pour en améliorer la valeur nutritive et économique, rapprochement qui contribue à masquer que l'un des enjeux majeurs est l'appropriation par les entreprises de marchés de plus en plus captifs. Au Québec, de 30 à 50% des plants de canola et 20% du maïs grain seraient déjà génétiquement modifiés(15).

Il est vrai que l'industrie canadienne de biotechnologie compte environ cinq cents entreprises et connaît une croissance fulgurante avec des revenus qui, de 1989 à 1993 ont augmenté de 24% par an alors que les exportations ont doublé(16). Et bien que les ventes mondiales en biotechnologie, estimées à quinze milliards de dollars américains, soient à 90% dans le domaine de la santé, c'est dans le secteur agroalimentaire qu'on prévoit la plus forte croissance (végétaux transgéniques et soins vétérinaires). D'ailleurs, au Canada, entre 1996 à 1997 seulement, les terres cultivées de plants transgéniques développés par Monsanto ont été multipliés par dix, passant de 21 000 ha à 210 000 ha(17), alors qu'en 1996, trente-neuf aliments nouveaux, notamment maïs, canola, tomate, pomme de terre, soya, coton, courge et lin, étaient déjà approuvés par le ministère de la Santé(18).

En fait, l'agroalimentaire représente déjà 26% du marché des biotechnologies au Canada, comparativement à 11% en Europe et 8% aux États-Unis, et le nombre d'entreprises spécialisées (224) y est plus élevé, en proportion de sa population, qu'en Europe et qu'aux États-Unis. Précisons toutefois que ce marché du génie génétique agricole est actuellement entre les mains, en quasi monopole mondial, de Dupont et de Monsanto, avec des ventes annuelles respectives de 2,5 et 3,1 milliards américains en 1997. Et déjà, ces deux géants lorgnent le lucratif marché de 190 milliards de dollars que représente le secteur agroalimentaire(19), ce qui illustre l'importance des enjeux économiques du secteur.

On ne peut évidemment évoquer ici les risques suspectés des organismes génétiquement modifiés sur la santé, sur l'environnement, voire sur les rapports socioéconomiques et culturels conduisant un nombre croissant de citoyens à exiger leur retrait. Cependant, pour illustrer l'ampleur des coûts humains et sociaux potentiels liés aux faiblesses réglementaires et à l'insuffisance d'un travail scientifique rigoureux dans le domaine des aliments transgéniques, rappelons à grands traits l'affaire Pusztai, qui depuis plusieurs mois déjà enflamme la presse britannique.

haut

Aliments transgéniques, l'affaire Pusztai (20)

En 1995, l'équipe du docteur Arpad Pusztai, sommité mondiale de la lectine, de l'institut Rowett d'Écosse, obtenait, devant vingt-huit concurrents, la coordination d'un projet de recherche de 1,6 million de dollars, visant à évaluer l'impact des organismes génétiquement modifiés sur la nutrition animale et l'environnement. Menée de concert avec le Dundee-based Scottish Crop Research Institute et le département de biologie de l'université de Durham, trois organismes ayant des liens avec l'industrie des biotechnologies par le biais de contrats de recherche commerciaux, cette recherche n'annonçait, a priori, aucun résultat controversé susceptible de remettre en question les bases scientifiques de l'industrie des biotechnologies.

En décembre 1996, toutefois, rapporte The Guardian, Pusztai est contacté par un membre du comité aviseur du gouvernement sur la production de nouveaux aliments qui le prie d'évaluer la demande de brevet de l'une des principales entreprises en biotechnologie. Pusztai commence alors à se préoccuper du caractère inadéquat des essais scientifiques effectués sur le maïs génétiquement modifié. Il expédie son évaluation au ministre de l'Agriculture tout en le prévenant que les tests en matière de performance nutritionnelle et de toxicologie étaient insuffisants et inadéquats.

Au même moment, Pusztai s'inquiète sérieusement des résultats de ses recherches sur des rats nourris de pommes de terre modifiées. En effet, après dix jours seulement de ce régime, le système immunitaire de ces rats était affaibli, la taille de leur cerveau réduite, et leurs organes internes, notamment les reins, le thymus, la rate et les intestins étaient sérieusement endommagés. Craignant les répercussions politiques de tels résultats, Pusztai tente d'obtenir, avant de les publier, des fonds supplémentaires pour les vérifier et en déterminer les causes et les effets; ces fonds de recherche lui seront refusés en juin 1998.

Dès janvier 1998, il accorde, avec l'aval de son institut, une entrevue à la BBC où il souligne son inquiétude quant à l'affaiblissement du système immunitaire des rats nourris avec ces pommes de terre génétiquement modifiées et, en avril 1998, il fait part de ses résultats préliminaires à l'équipe de l'institut Rowett et à des inspecteurs du gouvernement.

Le 10 août 1998, lors d'une autre entrevue télévisée, il déclare qu'il ne consommerait pas de pommes de terre génétiquement modifiées et qu'il est inadmissible d'utiliser ses concitoyens comme cobayes alors que le travail doit être mené d'abord en laboratoire. Le jour même, le professeur James, directeur de l'institut Rowett, publie un communiqué pour féliciter Pusztai. Dès le lendemain, il publie un autre communiqué d'appui, au moment où une demande de moratoire sur la vente des aliments génétiquement modifiés est présentée au parlement. Le 12 août, Pusztai est mis à la retraite forcée par le même James, qui annonce la création d'un comité de vérification d'urgence et dit regretter la diffusion d'informations «trompeuses». Le 14 août, Monsanto intente une poursuite contre Pusztai et contre l'émission de télévision World in Action à laquelle il avait accordé une entrevue.

Le rapport du comité de vérification, menée entre le 12 et le 21 août, qui, chose étonnante, ne tient pas compte de l'examen des organes internes des rats, exonère Pusztai de fraude en octobre 1998, mais prétend que ses résultats ne sont pas étayés par ses données. Le 4 février 1999, à la demande du comité gouvernemental chargé de la sécurité des aliments, le pathologiste Ewen, de l'école de médecine de l'université d'Aberdeen, met en évidence que ces mêmes rats souffrent d'une hypertrophie de l'estomac, résultats inattendus qui confirment les recherches de Pusztai et relèvent de nouveaux risques potentiels pour la santé.

Deux jours avant l'ouverture de la convention internationale sur la bio-sécurité à Carthagène, le 12 février 1999, autre coup de théâtre: vingt-deux scientifiques de renom de treize pays signent un texte commun où ils soulignent qu'après un examen indépendant de toutes les données publiées, Pusztai avait raison de s'inquiéter et n'aurait jamais dû faire l'objet de telles attaques ni être suspendu de ses fonctions. Ils dénoncent son congédiement ainsi que le caractère biaisé du rapport de vérification de l'institut Rowett, exigent la réhabilitation professionnelle du médecin et demandent d'octroyer immédiatement des fonds de recherche pour analyser les autres effets potentiels et déterminer les causes du problème.

Les résultats de Pusztai risquent d'être lourds de conséquences puisqu'il semble pour l'instant impossible de dire avec certitude quelle est l'origine et l'ampleur du problème. Est-ce la lectine, protéine résistante aux insectes, introduite dans la pomme de terre génétiquement modifiée, qui serait responsable de ces anomalies chez les rats? Si c'était le cas, cela pourrait signifier que les autres cultures avec des organismes génétiquement modifiés contenant d'autres lectines, notamment le Bt, comme c'est le cas pour le maïs, pourraient être affectées(21).

Si, comme le veut une autre hypothèse, c'est l'un des éléments clés du procédé, en l'occurrence le virus de la mosaïque du chou-fleur, utilisé dans le transfert de gènes, qui pose problème, cela ne serait guère plus rassurant. En effet, ce même virus aurait été utilisé, avec l'approbation du gouvernement britannique et de l'Union européenne, dans l'huile de soja (Monsanto), le maïs génétiquement modifié et la pâte de tomate, et se retrouve donc dans des centaines de produits disponibles dans les rayons des supermarchés.

Même si elles sont significatives, les expérimentations sur des rats ne permettent pas de sauter à des conclusions hâtives concernant l'humain. Cependant, de tels résultats n'incitent-ils pas, comme le proposent les Anglais, à stopper les projets de diffusion d'organismes génétiquement modifiés, d'ici à ce que leur innocuité soit clairement démontrée, à accélérer et à amplifier la recherche sur les impacts potentiels sur la santé humaine, mais également à élargir le débat social afin d'interroger non seulement les modalités mais la pertinence et les enjeux globaux de tels développements?

Certes, l'absence d'analyse à long terme sur la santé humaine et sur l'environnement ainsi que l'inadéquation des politiques évaluatives et réglementaires posent problème. En outre, la diffusion de ces produits à l'insu des citoyens et la primauté des profits des entreprises sur toute autre considération sociale, culturelle et politique érodent les principes démocratiques. Mais la diffusion des organismes génétiquement modifiés pose surtout le problème d'une concentration inégalée, aux mains de certains intérêts privés, de ce pouvoir exorbitant et aléatoire de remodeler les espèces et de redessiner l'environnement.

haut

L'étrange silence des instances bioéthiques

Comment, dans ce contexte, expliquer le silence des instances bioéthiques sur ces questions de santé, qu'il s'agisse de transgénèse ou d'effritement des politiques de protection publiques? Comment comprendre que les questions d'éthique liées à l'expérimentation sur les êtres humains et aux risques qu'ils encourent, questions au cœur de la déréglementation de la dgps et de la diffusion d'organismes génétiquement modifiés, soient si peu abordées par les instances éthiques? Cela est d'autant plus paradoxal que, depuis le code de Nuremberg sur l'expérimentation sur les sujets humains, et depuis le «principe responsabilité» d’Hans Jonas(22), ces questions constituent des enjeux majeurs de l'éthique contemporaine. Serait-ce que les sirupeux discours de progrès et de compétitivité séduiraient ces instances au point de leur faire oublier, à elles aussi, la profondeur des enjeux du biopouvoir de cette emprise économique sur le vivant modifiant autant les paysages idéologiques et sociaux que nos paysages intérieurs?

On pourrait répondre, sur un ton sarcastique, que, pour certains, «la bioéthique est de nos jours une industrie en croissance», pour reprendre cette ouverture magistrale de Bioethics in Canada(23). Un tel énoncé n'illustre-t-il pas à quel point les paramètres économiques sous-jacents, voire inconscients, incitant encore si souvent à confondre la santé avec l'industrie biomédicale(24), poussent également une certaine éthique «bio» à se fondre dans ce même «miroir de la production(25)», au point de mesurer sa pertinence à la multiplication de ses instances et zones d'influence?

Si de tels glissements de sens poussent certains à vouloir multiplier, comme c'est le cas aux États-Unis, les «firmes privées en éthique», caricaturale contradiction dans les termes, ils semblent malheureusement en pousser d'autres à confiner la bioéthique au rôle de légitimation de l'emprise «bio» et de ses catégories de pensée sur le corps individuel et social. On a alors une éthique d'accompagnement, voire d'aval, enfermée dans un paradigme médical aveugle à ses propres dérives et aux utilisations perverses qui en sont faites(26). Une éthique «bio» qui, comme on l'a vue à l'œuvre en matière d'industrialisation du vivant, s'attarde plus souvent à l'accessoire qu'à l'essentiel, plus aux risques de bavures qu'à leur genèse, plus au colmatage des effets qu'aux glissements en cascade, plus au cas par cas qu'aux enjeux structurels(27). Comme si cette «bioéthique» s'était limitée au rôle de sous-catégorie de l'éthique médicale centrée sur des études de cas et sur certaines innovations technologiques, au point d'en oublier ses perspectives critiques et globales concernant les impacts de la techno-science sur l'être et la biosphère, telles que formulées à l'origine, en 1971, par Van Rensselaer Potter.

haut

L'éthique de l'expérimentation sur les sujets humains

Rappelons que, depuis la dernière guerre mondiale, le débat éthique a largement porté sur les questions d'expérimentation humaine. Et ces questions constituent d'ailleurs l'axe central du code de Nuremberg, ce pilier de la réflexion éthique contemporaine, dont les camps d'extermination nazis et la gestion qualitative des populations, par Lebensborn et stérilisations forcées interposées, ont constitué l'insoutenable limite.

Or, l'actuel processus de déréglementation et de désengagement du ministère canadien en matière de protection de la santé, comme d'ailleurs les dossiers du sang contaminé, de la prothèse Meme, de la somatotropine et des organismes génétiquement modifiés, s'appuient à des degrés divers sur une conception bien particulière de la gestion du risque, frisant, à plus d'un égard, une insidieuse expérimentation — taisant son nom — sur les individus et les populations. Cela devrait donc pousser à approfondir les analyses théoriques critiques sur l'articulation de la gestion du risque et de l'expérimentation. À titre d'exemple, l'examen de la diffusion des produits transgéniques et de la somatotropine bovine, à la lumière du code de Nuremberg, met rapidement en évidence les transgressions à l'œuvre dans l'expérimentation sur les sujets humains. Ainsi, comment peut-on justifier, en Amérique du Nord, la dissémination de cultures et d'aliments transgéniques, en l'absence d'étiquetage de ces produits, élément d'information pourtant élémentaire pour qu'un consentement puisse être donné à des pratiques qui sont aux frontières de l'expérimental?

Pour mémoire, rappelons les termes de l'article 1 du code de Nuremberg: «Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne intéressée doit jouir de la capacité totale pour consentir; qu'elle doit être laissée libre de décider, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d'autres formes de contrainte ou de coercition. Il faut aussi qu'elle soit suffisamment renseignée, et connaisse toute la portée de l'expérience pratiquée sur elle, afin d'être capable de mesurer l'effet de sa décision. Avant que le sujet expérimental accepte, il faut donc le renseigner exactement sur la nature, la durée et le but de l'expérience, ainsi que sur les méthodes et moyens employés, les dangers et les risques encourus, et les conséquences pour sa santé et sa personne qui peuvent résulter de sa participation à cette expérience. L'obligation et la responsabilité d'apprécier les conditions dans lesquelles le sujet donne son consentement incombent à la personne qui prend l'initiative et la direction de ces expériences ou qui y travaille. Cette obligation et cette responsabilité s'attachent à cette personne, qui ne peut les transmettre à nulle autre, sans être poursuivie.»

Bref, le respect le plus élémentaire des exigences du consentement éclairé devrait rendre obligatoire l'identification des produits transgéniques et imposer la tenue d'un large débat public sur la dissémination des organismes génétiquement modifiés. Comme le soulignait le docteur Brill Edwards, lors d'une conférence donnée à l'université McGill le 25 mars dernier, les organismes génétiquement modifiés constituent un véritable Titanic, mais cette fois on nous y embarque de force, sans même nous prévenir. L'étiquetage des produits est une mesure minimale, qui ne permet qu'un consentement à l'aveugle face à des impacts non seulement mal mesurés, mais encore largement inconnus, en plus de poser le problème de risques accrus pour ceux qui n'auront pas les moyens financiers d'acheter des produits non transgéniques. Par ailleurs, il ne faut pas être dupe de l'actuelle surenchère faite autour de la notion de consentement, qui limite, voire qui dédouane l'expérimentateur de ses responsabilités, comme si le consentement de l'individu objet d'expérimentation atténuait, et parfois annulait, la responsabilité du chercheur, de l'entreprise et de l'État supposé les encadrer.

Plus fondamental encore que le consentement, c'est la légitimité même de l'expérimentation prévue qui mérite ici d'être interrogée. En effet, comme l'indique l'article 2 du code de Nuremberg, «l'expérience doit avoir des résultats pratiques pour le bien de la société impossibles à obtenir par d'autres moyens; elle ne doit pas être pratiquée au hasard et sans nécessité».

À moins de confondre le bien de la société avec les biens des transnationales; à moins d'avoir une conception purement scientiste des moyens pour obtenir ce bien de la société; à moins de croire que l'effritement, par l'ingénierie génétique, des frontières humain-animal-plante constitue désormais une impérieuse nécessité; et à moins de croire au caractère non hasardeux de la précipitation avec laquelle on dissémine les produits transgéniques, il faut avouer que l'article 2 du code de Nuremberg n'est guère davantage respecté. Pas plus d'ailleurs que l'article 6, qui stipule que «les risques encourus ne devront jamais excéder l'importance humanitaire du problème que doit résoudre l'expérience envisagée», ni l'article 4, qui souligne que «l'expérience doit être pratiquée de façon à éviter toute souffrance ou tout dommage physique ou mental non nécessaires».

Le contexte actuel d'incertitude devrait inciter à adopter non seulement une rigoureuse et prudente approche, mais aussi un strict respect de ces règles d'éthique élémentaires. Or, force est de constater que malgré l'inflation des discours et des dispositifs éthiques, ces instances sont soit silencieuses, soit peu attentives à de tels enjeux sociaux. C'est même à se demander si ces dispositifs éthiques ne contribuent pas, peut-être à leur insu, à court-circuiter d'autres dispositifs sociaux et normatifs, comme le droit et les mécanismes d'évaluation scientifique et sociale, et même à masquer l'effritement actuel des politiques publiques et réglementaires.

Ces questions importent d'autant plus que nous sommes désormais à un confluent où l'appropriation privée des sources de vie (gamètes, embryons et gènes) ainsi que leur réification, leur instrumentalisation et leur transformation s'accomplissent paradoxalement au cœur de l'univers médical et au nom d'une prétendue Santé! Ainsi en est-il, par exemple, des technologies de reproduction, qui, pour contourner diverses difficultés d'engendrement, transforment insidieusement la conception des êtres en production technicisée et sérielle du vivant, où les uns sont destinés à naître et les autres à n'être qu'objets de recherche. Aussi en est-il de l'appropriation des gènes, via le biopiratage et les brevets, et ainsi en est-il de l'ingénierie génétique effritant les frontières entre les espèces. L'être et le vivant sont donc désormais les objets emmêlés d'appropriation et de modifications radicales, scellant l'emprise inégalée de la techno-économie sur toute forme de vie, au risque de l'intégrité des êtres et de la biodiversité.

Or, une telle inféodation du vivant aux intérêts économiques de certains ne peut se faire qu'à la faveur du démantèlement des organismes publics ou du moins de la dilution de leurs pouvoirs d'évaluation, de contre-expertise et de contrôle à long terme. Ce qui interroge la complicité-duplicité du pouvoir politicien, manifestement séduit par les mirages des miracles «bio». Peut-être également est-il alléché par les promesses d'emploi de l'industrie qui l'invite alors à réduire normes, règlements et contrôles, quand il ne s'agit pas, tout bonnement, de l'inciter à brader le bien collectif… y compris même, comme on l'a vu récemment en Islande, le code génétique de sa population(28).

Une telle mainmise sur le vivant contribue également à une inféodation croissante de la recherche et de ses institutions aux impératifs et aux catégories de pensée de l'industrie bio, réussissant parfois à piéger, voire à ficeler les chercheurs, ce dont l'affaire Pusztai n'est qu'une pâle illustration. Enfin, non seulement les stratégies de communication-marketing jouent-elles un rôle clé dans l'information du public, ou de ce qui en tient lieu, mais encore, la vulgarisation scientifique et technique évite-t-elle rarement les écueils du sensationnalisme et du réductionnisme, alors que l'information quotidienne sur les manipulations du vivant a basculé depuis longtemps dans le fait divers. Dans ce paysage de politique-fiction, où certains voudraient bien réduire la démocratie à la parodie des stakeholders(29), à la caricature consumériste de «libre-choix» du «tout-ou-presque-marchand», ou encore à un seuil minimal «d'acceptabilité sociale(30)», les dispositifs de réassurance publique que constituent notamment les instances éthiques jouent un rôle de modération, voire de paravent, manifestement fort prisé par les pouvoirs en place. Bref, devant le démantèlement des organismes clés de protection de la santé des individus et des populations, de l'environnement et de la biodiversité, le silence des instances éthiques est pour le moins étrange, voire suspect.

N'est-il pas, en effet, du ressort de l'éthique de se demander, comme le souligne le juriste Bernard Edelman si «l'homme n'est pas en passe de se modifier, si la «biologisation» de la vie ne va pas détruire, de proche en proche, la représentation que nous avons de nous mêmes, de notre «être social»? […] En deux mots, l'homme serait-il parvenu, au terme d'une évolution irrésistible de la société marchande, à ce résultat stupéfiant de se produire lui-même comme marchandise?» Et il poursuit: «Peu à peu, l'idée se fait jour que nous entrons dans un «mode de production biologique», où le matériau biologique ne serait rien d'autre qu'une force productive, et par conséquent une marchandise d'un nouveau type qui induirait une industrie, un marché et, partant, une idéologie propre(31).»

Au-delà de l'aveuglant sensationnalisme médiatique, qui trop souvent adule et légitime instantanément de tels développements, il faut comprendre qu'un autre rapport au monde et aux êtres se dessine. C'est également une nouvelle cosmogonie qui s'élabore, redéfinissant complètement le concept de nature; une nature, souligne Rifkin, qui ne serait plus à maîtriser mais bien à modifier, dans la mesure où les êtres humains auraient désormais la mission de la changer, sinon de changer la nature humaine elle-même, bref de réécrire la Genèse à partir de l'alphabet génétique(32), question éthique s'il en est.

Or, ce remodelage idéologique de la nature, qui vise à légitimer son remodelage effectif, s’inscrit et justifie à la fois de nouvelles modalités d'appropriation-transformation de l'ensemble du vivant. Il conforte la mainmise privée sur ces sources inédites d'énergie-information que sont les gènes, mais également de façon plus large les gamètes (sperme et ovocytes) et les embryons. Ce qui met en évidence, au-delà de l'horizon de science-fiction que les technologies du vivant nous donnent à voir, les enjeux de pouvoir qui s'y jouent, voire qui se jouent de nous, puisque c'est notre identité en tant qu'êtres et en tant qu'espèce qui en constitue désormais l'objet. Cet univers techno-scientifique, où certains semblent vouloir réduire notre existence à un équivalent général, nouvelle monnaie de vivant, ouvre donc un champ de questions éthiques et politiques qu'il importe de resituer dans un paysage historico-politique plus large.

Il faut en effet se rappeler que, pendant des siècles, l'appropriation des territoires et de leurs richesses, au cœur même des enjeux économiques et politiques, a justifié les explorations, les conquêtes et les guerres de colonisation, conduisant à la domination, à l'esclavage, voire à l'extermination de populations entières au nom, soi-disant, de la civilisation et de l'évangélisation. Sur le socle de ce partage du monde, les deux derniers siècles ont été centrés sur l'appropriation des sources d'énergie (charbon, pétrole, puis nucléaire) et sur l'affinement des procédés industriels, chimiques et informatiques de production-circulation des biens-services-informations. Malgré les acquis de ces sociétés salariales capitalistes et planifiées, carburant à la même idéologie du progrès, la hausse des conditions de vie des uns s'est largement faite au détriment de celles des autres et à la faveur d'une dégradation de l'environnement et d'un épuisement sans précédent des ressources. Or, désormais, ce sont les gènes, l'or vert des biotechnologies, pour reprendre Rifkin, qui, couplées à la puissance de l'informatique, constituent à la fois une nouvelle ressource et un nouvel alphabet, ouvrant de nouveaux modes de production et de reproduction ainsi qu'un projet de redéfinition radical de l'être et du monde et cette fois au nom d'un étrange idéal de santé, voire d'un fantasme d'éternité.

Dans ce contexte, on comprendra la nécessité d'interroger une éthique qui semble trop souvent s'aligner sur les faits accomplis pour acquiescer benoîtement aux demandes sociales ou scientifiques économiquement induites, bref, pour avaliser l'entreprise et l'emprise techno-scientifique. On comprendra également à quel point l'éthique doit se dégager d'une approche essentiellemment gestionnaire ou d'une stratégie de réassurance .de l'opinion publique, laissant croire que certains esprits sérieux s'occupent de ces choses trop complexes pour le commun des mortels. On comprendra aussi que le désir de développement et de légitimation de ces instances éthiques ne doit pas masquer leur instrumentalisation politique permettant, souvent à leur insu, de contourner d'autres instances évaluatives, juridiques et politiques plus appropriées pour contrer ces enjeux de l'emprise techno-économique sur le vivant, instances sur lesquelles nous devons désormais concentrer toute notre attention.

À ce propos, rappelons les cinq propositions du docteur Epstein, prix Nobel alternatif 1998 de Suède, visant à assurer une plus grande imputabilité et une transparence accrue des pouvoirs publics et privés en matière de protection de la santé, propositions présentées lors d'une conférence publique tenue à l'université McGill le 25 mars 1999. La première, qui souligne le caractère inacceptable du concept même de risque acceptable, vise à interdire tout nouveau carcinogène jusqu'à ce que l'industrie fournisse toutes les preuves de l'innocuité du produit, ce qui mériterait d'être également élargi, à notre avis, aux effets nocifs des perturbateurs endocriniens sur la reproduction. Deuxièmement, il propose d'adopter des lois et des mesures réglementaires forçant l'adoption de stratégies de réduction des produits toxiques, comme c'est le cas, par exemple, des polluants organiques persistants(33). Troisièmement, il souligne que le public a le droit de savoir, droit qui implique d'identifier de façon claire tous les produits toxiques et carcinogènes en circulation et de fournir une information claire sur les effets des divers polluants en circulation. Ce droit de savoir conduit également à exiger une parfaite transparence des organismes réglementaires signifiant, notamment, de pouvoir connaître la composition des comités et des jurys d'experts, d'être informé des conflits d'intérêt potentiels, d'avoir accès aux procès-verbaux des réunions, etc.

Sa quatrième proposition vise à la fois à contrer le double standard en matière de justice et à exiger l'imputabilité des décideurs et des chercheurs dont les travaux risquent de compromettre la santé et la sécurité de dizaines, voire parfois de milliers de personnes. Ainsi, la manipulation ou la suppression d'informations scientifiques ou à tout le moins névralgiques par un sous-ministre, un directeur ou un chercheur devrait, dit-il, être considérée comme un crime et puni en tant que tel. Enfin, il souligne que la création d'une agence réglementaire indépendante avec à sa tête un ombudsman permettant de recevoir et de traiter les plaintes des citoyens, constituerait également une institution.

Ces diverses propositions, profondément éthiques dans leur conception même, peuvent contribuer à assurer une meilleure protection du public. Cependant, à la toute fin de sa conférence, le docteur Epstein précisait, que dans le cas des organismes génétiquement modifiés, ces propositions sont insuffisantes car non seulement les chercheurs désireux d'en assurer l'innocuité ne savent même pas dans quelle direction chercher ni quelles questions poser, mais qu'en outre les impacts irréversibles des organismes génétiquement modifiés dans l'environnement risquent de faire en sorte qu'il soit trop tard une fois que le génie sera sorti de sa bouteille.

Sans doute serait-il sage de méditer cette invitation à la prudence et à la précaution, propres à une éthique de la responsabilité, soucieuse de préserver le sens du lien et de la limite, caractéristiques de notre humanité. Comme le soulignent souvent les Amérindiens, il importe de toujours poser les questions dans un horizon large, au moins jusqu'à la septième génération…

haut

------------------------------------------------------------------


BIBLIOGRAPHIE

  1. Cet article s'inscrit dans le cadre du projet de recherche du Centre d'excellence en santé des femmes, université York, 1999, «Ensuring Women's Voices are Heard in Health Protection Legislation (Health Systems and Health Policy Research)», de S. Simand, B. Mintzes (des Action/Canada), avec L. Vandelac (université du Québec à Montréal) et H. Rosenberg. Les analyses sur la dgps et le ministère canadien de la Santé s'appuient largement sur les travaux et conférences du docteur Michèle Brill-Edwards, pédiatre et ex-chercheur à la dgps, sur le travail de la Coalition canadienne de la santé et du Working Group du National Network on Women and Health. Ce texte s'appuie aussi sur les projets de recherche Technologies de reproduction, éthique, médias et démocratie (crsh), Éthique environnementale, éthique biomédicale et menaces environnementales à la reproduction (fodar), et Mutations du vivant, santé reproductive et environnementale (sociologie, université du Québec à Montréal).
  2. N. Regush, Safety Last: The Failure of the Consumer Health Protection System in Canada, Key Porter Books, 1993.
  3. Ministère de la Santé, Rapport sur le rendement-Canada, Ottawa, Treasury Board Secretariat, 1997.
  4. Canadian Health Coalition (CCS), Transition = Abdication: A Citizens' Guide to the Health Protection Branch Consultation, Ottawa, septembre 1998, p. 7.
  5. Ibid., p. 11.
  6. Drugs and Medical Devices Programme Quality Initiative Bulletin, bulletin no 2, février 1997. Le sous-titre en est «This is second in a series of one page bulletins on the Quality Initiative».
  7. «En 1993, les prix en vigueur au Canada pour les produits brevetés lancés après 1987 étaient demeurés supérieurs aux prix internationaux médians dans une proportion de 55%» (Claude Castonguay et al., L'assurance médicaments. Des voies de solution, rapport d'un comité d'experts, 22 mars 1996, p. 113). La source originale dont sont tirées ces chiffres est le septième rapport annuel du cepmb, Ottawa, juin 1995.
  8. Ces informations sont tirées de Regush (op. cit.) et d'entretiens avec deux chercheurs, l'un chargé depuis quinze ans d'analyser le processus de démantèlement des services publics et l'autre ayant vécu ce processus au ministère de la Santé.
  9. Voir Barbara Mintzes, Blurring the Boundaries: New Trends in Drug Promotion, Amsterdam, Health Action International, 1998; et Joël Lexchin, «Profits First: The Pharmaceutical Industry in Canada», dans B. S. Bolaria et H. D. Dinckinson, Health, Illness and Health Care in Canada, University of Saskatchewan, 1994, p. 721-738.
  10. Dans ce cas, le docteur Pierre Blais, alors à la dgps, avait émis un avertissement sur la présence d'un agent cancérigène dans ces prothèses mammaires. En réponse à ces troublantes données, il avait tout simplement été congédié. Après avoir contesté avec succès ce congédiement devant les tribunaux, le docteur Blais avait du être réembauché, mais vu le contexte il avait préféré quitter peu après. Un an plus tard, le fabricant des prothèses Meme avait retiré son produit du marché, donnant ainsi raison au médecin.
  11. Michael McBane (ccs), Letter to Rock on rbST, 26 janvier 1999.
  12. Samuel Epstein, «Risk Factors: Hormonal Milk Poses Prostate Cancer and Other Cancers Risks», Gene Therapy Weekly, 30 mars 1998.
  13. Le Devoir (afp), 22 mars 1999.
  14. Ibid.
  15. Union des producteurs agricoles, Impacts du génie génétique sur l'agriculture, document de réflexion, Direction recherches et politiques agricoles, p. 4-5.
  16. Ministère de l'Industrie, La série des cadres de compétitivité sectorielle. Les bio-industries, http:// strategis.ic.gc.ca, 1998, p. 17. Le Canada se classe au troisième rang, derrière les États-Unis et l'Europe, en ce qui a trait au nombre d'entreprises de génie génétique. Cependant, «Statistique Canada ne dispose pas de données fiables sur les ventes, le commerce et l'emploi, parce que les produits issus de la biotechnologie ne sont pas encore différenciés au sein de la Classification type des industries (cti)» (ibid., p. 6).
  17. Union des producteurs agricoles, op. cit., p. 5.
  18. Toutefois seulement dix des résumés des décisions sont disponibles pour consultation sur internet sur ces aliments approuvés entre le 30 mai 1994 et le 22 septembre 1996, alors qu'aucune information n'est disponible sur les produits approuvés depuis septembre 1996.
  19. Union des producteurs agricoles, op. cit., p. 10.
  20. La synthèse présentée ici s'inspire pour l'essentiel d'une série d'articles publiés par The Guardian de Londres à la mi-février ainsi que sur une revue exhaustive de la presse britannique de février-mars 1999.
  21. En 1998, à l'échelle mondiale on pouvait estimer à plus de 7,7 millions d'hectares ces cultures à partir d'organismes génétiquement modifiés.
  22. Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Cerf, 1990.
  23. David Roy, John R. Williams et Bernard Dickens, Bioethics in Canada, Scarborough, Prentice Hall Canada, 1994.
  24. On sait pourtant depuis des années que la qualité de la santé des individus et des populations ne relève pas d'abord ni des institutions de santé ni de l'industrie de la santé, mais bien des déterminants sociaux de la santé (environnement, conditions de vie et de travail, habitudes de vie et constitution biologique) et que «l'industrialisation des soins et des produits de santé, voire de la santé comme produit» produit souvent des effets pervers en cascade. Marc Renaud et Louise Bouchard, «Expliquer l'inexpliqué: l'environnement social comme facteur clé de la santé», Interface, vol. 15, no 2, mars-avril 1994, p. 15-24; Robert G. Evans, Morris L. Barer et Theodore R. Marmor (dir.), Être ou ne pas être en bonne santé. Biologie et déterminants sociaux de la maladie, Montréal, Presses de l'université de Montréal, 1996.
  25. Jean Baudrillard, Le miroir de la production, Paris, Casterman, 1973.
  26. Louise Vandelac, «Pour une analyse critique des dispositifs d'évaluation scientifique, éthique et sociale des technologies de reproduction», Ruptures, revue interdisciplinaire en santé, vol. 2, no 1, 1995, p. 74-101.
  27. Louise Vandelac, «Technologies de reproduction: l'irresponsabilité des pouvoirs publics et la nôtre…», Sociologie et sociétés, «Technologies médicales», vol. 28, no 2, automne 1996, p. 109-122; Louise Vandelac, «Menaces à la conception de l'être et de l'espèce: l'étonnante myopie éthique et sociale…», SAVOIR, revue de psychanalyse et analyse culturelle, vol. 4, no 1, juillet 1998, p. 64-94.
  28. «L'Islande est devenue le premier pays au monde à vendre les droits du code génétique de sa population entière à une firme de biotechnologie, une décision qui éclaire à la fois les promesses et les risques de l'âge de l'information génétique. Le Holding Roche Ltd a signé un contrat de cinq ans pour deux cents millions lui permettant de développer de nouveaux tests et de nouveaux médicaments» (John Schwartz, «Iceland Sells Its Own Genetic Code. Biotech firm buys data of islanders' DNA», San Francisco Chronicle, 12 janvier 1999).
  29. Ce terme permet d'amalgamer multinationales cherchant leur seul profit et simples citoyens ou groupes environnementaux…
  30. Expression des décideurs publics dans la gestion des dossiers environnementaux qui désigne à la fois les limites au-delà desquelles le public risque de faire des vagues, voire de tempêter, et les stratégies de communication visant à calmer la houle.
  31. Bernard Edelman, «Le droit et le vivant», La Recherche, no 212, août 1989.
  32. Jeremy Rifkin, Le siècle biotech, Montréal, Boréal, 1998.
  33. Louise Vandelac et M.-H. Bacon, «Will We Be Taught Ethics by Our Clones? The Mutations of the Living From Endocrine Disruptors to Genetics», dans Claude Sureau and Françoise Shenfield (dir.), Ethical Problems in Obstetric and Gynaecology, Baillières's Clinical Obstetric and Gynaecology, International Practice and Research, 1999.

haut

Droit d'auteur © 2006-2010 Action pour la protection de la santé des femmes