Protéger notre santé :
Les nouveaux enjeux

Action pour la protection de la santé des femmes en collaboration avec D.E.S. Action Canada

La prévention de la maladie
Les médicaments sont-ils la solution ?


En 1854, les causes de l'épidémie de choléra sévissant à Londres étaient inconnues. À l'époque, le Dr John Snow suspectait que l'évacuation des déchets dans la Tamise contaminait l'approvisionnement en eau potable. Marquant sur une carte de la ville les points chauds de l'épidémie, il constata qu'un quartier était durement touché. La région entourant le quadrilatère de Broad Street comptait plus de 500 personnes décédées des suites du choléra sur une période de dix jours. Écoutant son intuition, le Dr Snow enlèvera le manche de la pompe sur Broad Street qui alimentait en eau potable les maisons et les commerces des rues avoisinantes. Les décès diminuèrent. John Snow devint alors une légende du mouvement pour la santé publique qui en était encore à ses débuts. Ce mouvement était voué à la promotion de la santé fondée sur des lois et mesures sociales. Aujourd'hui, au coin des rues Broad et Lexington, une pompe sans manche rappelle aux londoniens qu'aucune communauté ne peut être en santé sans eau potable.

Depuis le mois de mai 2000, cette histoire possède résonne de façon troublante au Canada. Sept personnes sont décédées dans la ville ontarienne de Walkerton, et plus de 2300 personnes sont tombées malades, lorsqu'une bactérie mortelle provenant de fumier agricole a contaminé l'approvisionnement municipal en eau potable. Bien que les dangers associés à la contamination de l'eau soient, de nos jours, bien connus, des compressions budgétaires ont conduit à la négligence des contrôles de la qualité de l'eau de Walkerton. Signe des temps, Walkerton survient au cour d'une décennie marquée par compressions importantes dans les budgets consacrés à l'environnement partout au pays.

La santé publique et la médecine sont des champs complémentaires mais distincts. La santé publique vise à prévenir les maladies ; la médecine vise à les traiter. Les préoccupations traditionnelles en matière de santé publique comprennent l'hygiène et l'approvisionnement en eau, la pollution de l'air et la pollution par le bruit, l'hygiène alimentaire, l'alimentation, les conditions d'habitation, ainsi que la santé et la sécurité au travail.

La santé publique cible des populations alors que la médecine traite un patient à la fois. Bien que la médecine ait fait beaucoup de choses pour soulager la souffrance humaine, la santé publique en a fait encore plus pour la prévenir. Les gains en matière d'espérance de vie découlant des mesures de santé publique dépassent nettement les gains attribuables aux traitements médicaux. Les médicaments et autres traitements médicaux comportent tous leur part de risque alors que les interventions en santé publique sont souvent sans risque ou présentent un risque très faible.

Des essais récents, ayant pour but de tester de puissants médicaments à titre préventif ont brouillé la frontière entre la santé publique et la médecine. Cette nouvelle utilisation préventive des médicaments pour prévenir la maladie - la chimioprévention - coïncide avec l'érosion sournoise des normes de sécurité appliquées aux médicaments, aux dispositifs médicaux et aux contaminants de l'environnement.

Le Canada a besoin de lois sur la protection de la santé qui protègent réellement la population canadienne. Les décideurs doivent reconnaître les dangers de la chimioprévention et affirmer leur engagement envers les principes et les stratégies propres à l'approche de santé publique.

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Des pilules préventives : une tendance alarmante

En avril 1998, on rapportait à la une des journaux une « percée troublante » dans la prévention du cancer du sein. « Pour la première fois dans l'histoire, nous savons qu'il est possible de prévenir le cancer à l'aide de médicaments », affirmait l'un des chercheurs cité. Les journaux rapportaient les résultats d'un essai clinique sur la prévention du cancer du sein, le Breast Cancer Prevention Trial (BCPT), réalisé auprès de 13 388 femmes canadiennes et américaines. Six mois plus tard, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis approuvait l'utilisation du tamoxifène - jusque là utilisé pour le traitement du cancer du sein - pour les femmes « présentant un risque élevé » de cancer du sein.

Pour sa part, Santé Canada n'a pas approuvé l'utilisation du tamoxifène à titre préventif, ce qui signifie qu'au Canada, les compagnies pharmaceutiques ne peuvent en faire la promotion à cette fin. Les femmes canadiennes sont toutefois exposées aux publicités américaines et les médecins canadiens, également très exposés aux pratiques médicales américaines ainsi qu'aux publicités, peuvent décider de suivre des normes américaines et prescrire le tamoxifène dans un but préventif.

C'est en 1998 que débuta le recrutement de 22 000 femmes canadiennes et américaines en bonne santé pour un nouvel essai clinique. L'étude appelée Tamoxifen Against Raloxifene (STAR), qui est la suite de la première étude mentionnée ci-dessus - la BCPT - vise à comparer le tamoxifène à un produit similaire, le raloxifène.

Mais ce n'est pas tout. D'autres maladies font l'objet d'études pharmacothérapiques préventives. En avril 2000, débutait à Toronto un essai clinique visant à évaluer un traitement pour la schizophrénie chez des gens jugés à risque, avec des hôpitaux participants de Calgary et à l'Université Yale. Par ailleurs, un contraceptif contenant un agoniste de la GnRH est à l'étude aux États-Unis. Ce contraceptif empêche la sécrétion des hormones du cycle reproducteur féminin et est suivi d'un ajout d'ostrogènes et de progestatifs. Il s'agit d'induire trois ou quatre cycles menstruels par année et ce, dans l'espoir de réduire simultanément les taux de cancer du sein, des ovaires et de l'utérus.

De nombreux observateurs s'inquiètent devant l'engouement actuel pour l'utilisation de puissants médicaments à titre préventif. Dans l'étude BCPT, les chercheurs rapportent qu'un nombre significativement moindre de femmes traitées avec du tamoxifène ont présenté un cancer du sein durant une période de quatre ans, mais qu'un nombre plus élevé de femmes ont présenté un cancer de l'endomètre, des caillots de sang et des troubles de la vue1 . Trois femmes participant à l'essai sur le tamoxifène sont décédées suite à des embolies pulmonaires. Toutes les femmes participant à l'essai STAR sont exposées soit au raloxifène soit au tamoxifène, et ces deux médicaments sont associés à la formation de caillots. Devant tous ces risques confondus, un médecin a avancé que le concept de « prévention de la maladie » semblait avoir été remplacé celui de « substitution de la maladie »2 . En ce sens, mentionnons que la recherche sur la prévention de la schizophrénie ont amené un panel international de chercheurs à en remettre en question la poursuite. Enfin, les résultats de l'étude pilote sur le cocktail contraceptif ont montré que les participantes avaient perdu 1,9 % de leur masse osseuse par année.

D'autres médicaments sont utilisés de manière préventive malgré l'absence de données fiables. La promotion des fabricants et le soutien des médecins suffisent parfois à instaurer des pratiques non fondées sur des données scientifiques rigoureuses et complètes. C'est le cas notamment de l'ostrogénothérapie et de l'hormonothérapie destinées aux femmes pendant et après la ménopause. Bon nombre de médecins et de patientes étaient convaincus que ces médicaments, lancés sur le marché il y a environ 50 ans dans le but de préserver la jeunesse et la santé chez les femmes, pouvaient prévenir les maladies cardiaques, les fractures liées à l'ostéoporose, le cancer du colon, la maladie d'Alzheimer et l'incontinence urinaire. Le Premarin (un composé d'ostrogènes), se classe parmi les trois premiers médicaments les plus prescrits au Canada et aux États-Unis, avec des ventes de 2,75 milliards $ aux États-Unis en 2001. Dans un rapport rendu public en mars 2002, un comité international d'experts a conclu que les données scientifiques sont insuffisantes pour soutenir d'autres utilisations que le soulagement des bouffées de chaleur et de la sudation nocturne. Par ailleurs, plutôt que de protéger les femmes des maladies cardiaques et des caillots, l'hormonothérapie en augmente les risques. Ces produits sont également associés à une augmentation du risque de maladie de la vésicule biliaire et, lorsqu'ils sont utilisés pendant cinq ans et plus, à un risque plus élevé de cancer du sein3.

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Prévention et santé publique : l'étalon-or

L'approche privilégiée en santé publique vise à prévenir la maladie en identifiant les facteurs à la source d'un état pathologique, puis en les réduisant ou en les éliminant4 . En faisant miroiter la promesse d'une « pilule miracle », la chimioprévention menace cette stratégie éprouvée qui consiste à cerner et à éliminer les causes de la maladie. L'introduction des médicaments préventifs représente, du reste, une nouvelle menace pour la santé, menace liée à l'apparition de maladies et de décès iatrogènes (dont les causes sont médicales, notamment les exemples mentionnés ci-dessus).

De tout temps , la mesure de santé publique la plus bénéfique pour la santé humaine est l'amélioration de la qualité de l'eau potable destinée à la consommation. Même de nos jours, on peut dire que la pharmacothérapie contribue relativement peu aux gains globaux en matière de santé. Au cours du 20e siècle, l'espérance de vie en Amérique du Nord a augmenté de 30 ans, dont 25 sont attribuables aux initiatives de santé publique telles que des conditions de travail plus sécuritaires, le port de la ceinture de sécurité dans les voitures et une meilleure alimentation des mères et des nourrissons5 .

Dans l'approche de santé publique, les risques acceptables sont faibles et sont compensés par d'importants avantages. C'est le cas, par exemple, de la vaccination pour la varicelle et de l'ajout d'iode dans le sel et de vitamine D dans le lait. Les essais de chimioprévention décrits ci-dessus créent une nouvelle norme déconcertante où des avantages minimes ou ambigus viennent justifier d'importants risques. Ils embrouillent la frontière entre prévention - où la sécurité constitue le principe de base- et traitement - où les risques auxquels sont exposés les malades sont compensés par le potentiel d'amélioration de leur état.

Ce n'est que dans de très rares cas que la chimioprévention peut fournir un moyen acceptable de prévenir ou de retarder l'apparition d'une maladie. Par exemple, l'héparine (un anticoagulant) prévient la formation de caillots sanguins chez les patients qui subissent une opération chirurgicale majeure ; le Pepto-bismol prévient la diarrhée chez les voyageurs. Le bioéthicien Charles Weijer définit quatre critères qui devraient prévaloir lorsqu'on pense à faire des essais cliniques pour un médicament destiné à prévenir une maladie chez des personnes en santé :

  1. Le médicament devrait être relativement sûr et ne présenter aucun effet secondaire mettant la vie en danger.
  2. Les sujets devraient être recrutés au sein d'une population manifestement exposée au risque de la maladie, et non pas être choisis en fonction de conditions démographiques superficielles, comme par exemple être une femme âgée de 61 ans.
  3. Les facteurs de risque de la maladie devraient être connus, de manière à éviter que le médicament ne fasse plus de tort au grand nombre que de bien à une minorité.
  4. Le médicament devrait être testé pour son action centrale. Par exemple, un médicament testé pour prévenir les maladies cardiaques peut présenter d'autres effets, tel que celui de rendre la peau très douce. Ce type d'effet doit être considéré comme non pertinent lors de l'évaluation du produit. « Les recherches portant sur l'utilisation préventive du tamoxifène ne satisfont à aucun des quatre critères », conclut Weijer .6

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Le principe de précaution et la chimioprévention

La chimioprévention est l'une de nombreuses innovations risquées en matière de santé. Alarmés par l'introduction précipitée de technologies non éprouvées et par l'inertie gouvernementale face à l'élimination des contaminants environnementaux, plusieurs groupes de citoyens et de nombreux scientifiques ont retenu le principe de précaution pour donner forme à la prémisse « la sécurité d'abord ».

En bref, le principe de précaution dit ceci : lorsque les données scientifiques permettent de croire qu'un traitement ou un produit peut être dangereux, il faut prendre des mesures de précaution même si les liens de causalité ne sont pas établis scientifiquement. Selon ce principe, le fardeau de la preuve en matière de sécurité revient non pas au public, mais à celui qui initie l'activité, c'est-à-dire, au fabricant.

Si le principe de précaution devenait l'étalon-or en matière de protection de la santé, il devrait prévaloir sur tout autre principe. Dans la réglementation des aliments, des médicaments et des instruments médicaux, par exemple, et dans la protection de l'environnement, le principe de précaution favoriserait au maximum la prévention. De plus, le public serait protégé contre les essais cliniques et la commercialisation des médicaments de chimioprévention, qui, en soi, constituent des menaces pour la santé.

Si le gouvernement canadien a signé plusieurs déclarations et traités internationaux endossant le principe de précaution, il se montre hésitant à le reconnaître concrètement chez lui. Un avocat spécialisé en droit de l'environnement, David VanderZwaag, remarquait qu'au moment de la refonte de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE), en 1999, le principe de précaution était cité dans le préambule et invoqué à titre de tâche administrative. « Toutefois, écrit le professeur VanderZwaag, la nouvelle Loi ne va pas jusqu'à adopter d'importantes mesures de précaution ». Les interventions des milieux industriels ont abouti à des amendements qui ont affaibli la Loi. Un membre du Parlement, l'honorable Charles Caccia, avait exprimé ainsi son désarroi : « Quel réconfort y a-t-il pour les Canadiens de savoir qu'on classe et qu'on évalue les produits toxiques, mais sans nécessairement les éliminer? […] Nous avions pourtant bien établi le principe de précaution, mais il a été rejeté »7.

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La logique de Santé Canada à l'égard de prévention de la maladie : un cadre moderne de gestion des risques

Une attitude ambivalente à l'égard du principe de précaution est manifeste tout au long du document de travail publié en 1998 par le gouvernement fédéral intitulé La protection de la santé pour le 21e siècle : Le renouvellement du programme fédéral de la protection de la santé. D'abord, ce document explique que le concept de protection de la santé vise à éviter les maladies ou les blessures, et reconnaît que les risques pour la santé peuvent découler des médicaments d'ordonnance, des contaminants des aliments et de l'eau, de la pollution de l'air, des rayonnements et des produits chimiques. Ces énoncés donnent le ton à une stratégie de santé publique visant à mettre les citoyens à l'abri de ces risques en réduisant ou en éliminant l'exposition aux dangers énumérés. Or, au lieu d'examiner des stratégies visant à éliminer ou à réduire les causes de la maladie, le document adopte, ce qu'il est désormais convenu d'appeler un « cadre moderne de gestion des risques ».

Historiquement, c'est l'administration Reagan qui, en 1983, a introduit le concept de gestion des risques dans les agences et ministères en santé et en environnement américains. Selon cette approche, le risque fait inévitablement partie de l'existence. Ainsi, la pollution n'est pas considérée comme un problème auquel il faut remédier; désormais, les toxines dans l'environnement deviennent un fléau négociable. C'est aux responsables de l'évaluation du risque (les scientifiques) de déterminer l'ampleur d'un risque donné, et aux gestionnaires du risque (les décideurs) de déterminer si le risque est acceptable. Au bout du compte, l'historien des sciences Robert Proctor, observe que « cette approche fait presque immanquablement échec à la réglementation de la santé et de l'environnement »8.

La gestion des risques s'appuie sur le principe ALARA (acronyme de « as low as reasonably available »), principe voulant que les expositions humaines soient maintenues au niveau le plus bas qu'il est raisonnablement possible d'atteindre, lorsqu'on tient compte de l'ensemble des facteurs, y compris des facteurs socio-économiques. En s'appuyant sur le principe ALARA, qui place les risques et bénéfices pour la santé dans la même équation que les risques et les bénéfices financiers, la maladie devient en quelque sorte une monnaie d'échange que l'on peut sacrifier pour favoriser l'économie ou l'emploi.

Une évaluation du risque typique, fondée sur le principe ALARA, propose donc un cadre comparatif étroit. On comparera, par exemple, les risques et bénéfices du tamoxifène à ceux du raloxifène dans la réduction du risque du cancer du sein. D'autres approches, tel que le fait de réduire notre exposition à des médicaments carcinogènes et aux contaminants environnementaux, ne seront même pas envisagées. En fait, les évaluations du risque qui n'examinent que les activités dangereuses ne constituent pas un moyen impartial d'évaluer les effets nocifs potentiels, affirme l'environnementaliste Mary O'Brien. Ce type d'évaluation illustre bien cette tendance ancrée dans notre société qui consiste à agir comme s'il n'existait pas d'options sécuritaires9 .

Les gestionnaires des risques ne s'entendent que très rarement sur ce qui constitue un niveau de risque acceptable.. Santé Canada a demandé à un groupe de travail d'examiner l'application du principe ALARA dans le cas du rayonnement ionisant et des agents chimiques. Les membres de ce groupe ont constaté que les niveaux de risque acceptables présentaient des écarts allant jusqu'à un million d'unités. Ils ont néanmoins conclu que les stratégies de gestion des risques visant à réglementer tant les rayonnements ionisants que les agents chimiques « fournissent un haut degré de protection de la santé, et qu'aucun effet sur la santé n'a été observé, selon les méthodes épidémiologiques courantes » (c'est nous qui soulignons)10 . Cette conclusion est typique de la logique de la gestion des risques : les quantités mesurables de rayonnements, d'agents chimiques génotoxiques et de substances perturbatrices du système endocrinien sont considérées sans danger du fait que les études épidémiologiques ne révèlent pas encore d'effets observables sur la santé. Ce raisonnement est fondé sur une logique inexacte voulant que « l'absence de preuve soit assimilée à une preuve d'absence11 ».

Le climat politique et les compressions budgétaires influencent également les gestionnaires lorsqu'il s'agit d'accepter ou non un niveau de risque pour la santé. Si l'heure est à la réduction du déficit, on pourra s'attendre à ce que les décideurs optent pour une approche centrée sur un rendement économique à court terme : c'est-à-dire, pour l'optimisation des bénéfices aux dépens de la santé et de l'environnement. À court terme, l'élimination des causes des maladies peut entraîner une diminution des profits immédiats en exigeant le nettoyage de substances toxiques, la modification de technologies polluantes et l'interdiction de certaines conditions de travail, le tout visant à prévenir les accidents et l'exposition à des agents liés à la maladie. À long terme, cependant, de telles mesures favorisent le développement durable et peuvent même faire faire des économies au secteur industriel. Les stratégies qui visent à réduire et à éliminer les causes de la maladie comportent non seulement des coûts finis mais fournissent aussi des bienfaits pour la santé à long terme de populations entières et soulagent habituellement toute une gamme de maladies plutôt qu'une seule.

« Souvent ceux qui paient le prix de la pollution ne sont pas ceux qui en tirent les avantages, déclare Robert Proctor. Dans les discussions sur les coûts de la réglementation, on évite trop souvent de chercher à savoir qui paie et qui est avantagé »12.

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La santé des femmes et la prévention de la maladie

Les féministes sont particulièrement critiques face à l'utilisation des médicaments à titre préventif et ce, pour des raisons qui trouvent leur origine dans la position que la médecine a réservé historiquement aux femmes. De nombreuses chirurgies non nécessaires et la commercialisation de médicaments et de dispositifs médicaux non adéquatement testés ont sensibilisé les militantes aux questions de surmédicalisation et d'iatrogénie. La mise en marché du diéthylstilbestrol (D.E.S.), de la thalidomide, des prothèses mammaires Même et du stérilet Dalkon Shield a entraîné des conséquences tragiques pour les femmes.

Les théoriciennes féministes critiquent également les messages culpabilisants, voulant que les femmes soient personnellement responsables de leurs problèmes de santé et de ceux des membres de leur famille.

De même, les théoriciennes et militantes féministes se méfient souvent des explications invoquant le « mode de vie » et ignorant les inégalités sociales. Bien sûr, les habitudes alimentaires, le tabagisme, l'exercice et autres comportements ne sont pas sans lien avec la santé, mais les politiques en matière de santé doivent également tenir compte du contexte plus global. Loin d'être des décisions individuelles, nos choix en matière de mode de vie sont en réalité fortement influencés par des facteurs sociaux, économiques et politiques .

L'éthicienne féministe Susan Sherwin a bien montré comment cette façon de voir a influencé les recherches et les politiques sur le cancer du sein: « En réponse à la progression des taux de cancer du sein, la communauté scientifique et médicale dominante tient les femmes personnellement responsables de l'autoexamen des seins et cherche le ou les gènes qui rendraient certaines femmes particulièrement vulnérables à la maladie… Rares sont les médecins qui réclament des recherches sur le rôle des pesticides ou du chlore, ou encore sur le rôle des hormones artificielles dans l'alimentation des animaux de boucherie dans la maladie14 ». Adoptant un autre point de vue, les groupes pour la santé des femmes ont critiqué les essais de chimioprévention pour le cancer du sein comme faisant partie des derniers développements d'une série de médicaments et de dispositifs médicaux risqués commercialisés auprès des femmes et non soutenus par une logique ou des essais scientifiques adéquats.

Aux États-Unis, la question du tamoxifène en tant qu'agent préventif a été discutée dans les médias, dans des rencontres organisées par les groupes communautaires, de même que par la FDA américaine. Au Canada, bien que des centaines de Canadiennes aient été recrutées pour les études BCPT et STAR, l'organisme canadien responsable de la protection de la santé n'a pas encore créé une tribune permettant aux femmes d'exprimer leurs préoccupations. Au Canada, le processus d'approbation des médicaments reste secret et, jusqu'à maintenant, aucun mécanisme permettant la participation d'organismes non gouvernementaux n'est établi.15

En théorie, le gouvernement canadien souscrit aux énoncés visionnaires inscrits dans la Plate-forme de Pékin et la Stratégie sur la santé des femmes de Santé Canada. Ce faisant, le Canada s'engage à réduire l'exposition aux substances toxiques qui menacent la santé des femmes, dans l'environnement, dans les milieux de travail et dans la chaîne alimentaire, et à protéger les femmes contre la surmédicalisation et l'abus d'ordonnances médicales. Notre législation en matière de protection de la santé doit refléter ces objectifs. de manière concrète. Nos lois doivent appliquer véritablement le principe de précaution plutôt que de s'appuyer sur un cadre de gestion des risques qui place la santé en arrière-plan, soit après les affaires et le profit.

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Comment freiner la dérive vers la chimioprévention ?

Recommandations

FAIRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION, plutôt que du cadre de gestion des risques, le fondement de la prévention de la maladie au Canada.

MODERNISER ET RENFORCER LE PROGRAMME FÉDÉRAL d'inspection DES ALIMENTS en prenant de nouvelles mesures pour améliorer les systèmes de surveillance, accroître la capacité scientifique et intensifier les activités de réglementation (Objectif 4.17, Stratégie sur la santé des femmes de Santé Canada).

RÉGLEMENTER les produits pharmaceutiques les aliments, les rayonnements et l'environnement, par l'entremise d'un système n'ayant aucun lien avec le secteur industriel.

FOURNIR DES TRIBUNES PERMETTANT AU PUBLIC DE S'EXPRIMER à toutes les étapes des essais portant sur des médicaments de chimioprévention et de l'approbation de tels médicaments, et ce dans le cadre d'un mouvement visant à mettre fin au secret qui caractérise les organismes réglementaires canadiens responsables de la santé. Retranscrire et diffuser par Internet les transcriptions des délibérations afin de rendre cette information publique.

OBLIGER les personnes qui TÉMOIGNENT lors d'audiences publiques sur les questions de médicaments, y compris les personnes appartenant à des groupes militant en santé, à RÉVÉLER PUBLIQUEMENT et de façon DÉTAILLÉE tout lien financier avec les sociétés pharmaceutiques ayant des intérêts financiers dans les produits en question.

DANS UNE OPTIQUE DE PRÉVENTION, PRIORISER LA RÉDUCTION DES DANGERS ENVIRONNEMENTAUX qui menacent la santé des femmes ; accélérer la détection et l'évaluation des substances anciennes et nouvelles, développer des alternatives, réduire (et éliminer si possible) l'utilisation des substances toxiques et surveiller de près les progrès (Objectif 4.7, Stratégie sur la santé des femmes de Santé Canada).

RÉDUIRE LES RISQUES que le MILIEU DE TRAVAIL PEUT PRÉSENTER POUR LA SANTÉ PHYSIQUE ET PSYCHOLOGIQUE ET LE BIEN-ÊTRE DES FEMMES. (Objectif 4.8, Stratégie sur la santé des femmes de Santé Canada).

SOUTENIR LA RÉALISATION DE RECHERCHES APPROFONDIES sur les causes du cancer du sein ; inclure les questions sur l'impact de l'environnement (Objectif 2.11, Stratégie sur la santé des femmes de Santé Canada). Utiliser les résultats des recherches pour élaborer des politques publiques.

CRÉER UN BUREAU CHARGÉ DE SURVEILLER LES ESSAIS CLINIQUES AU CANADA en collaboration avec les professionnels intéressés et les groupes militant pour la santé. Ce bureau devrait veiller à protéger les sujets volontaires des essais cliniques et à soumettre certains types d'essais, dont les essais cliniques de chimioprévention, à des mesures réglementaires particulièrement rigoureuses ainsi qu'à l'examen public.

CHARGER SANTÉ CANADA D'INTERVENIR LORS DES AUDIENCES RÉGLEMENTAIRES tenues aux États-Unis et dans d'autres pays réalisant des essais cliniques auxquels participent des Canadiens, afin d'exiger le maximum de sécurité pour les personnes participant à ces essais.

SUBVENTIONNER DES ÉTUDES visant à déterminer si l'utilisation non indiquée de médicaments d'ordonnance à des fins de chimioprévention est répandue, à évaluer les facteurs qui contribuent à une telle utilisation et à évaluer tous les effets nuisibles potentiels de ces médicaments.

RENFORCER LE SYSTÈME DE SURVEILLANCE POST-MARKETING DES MÉDICAMENTS D'ORDONNANCE. Effectuer le suivi des effets indésirables des médicaments utilisés à des fins de chimioprévention et faire une distinction entre ces médicaments et les médicaments utilisés dans un but curatif.

ÉLABORER UNE RÉGLEMENTATION RELATIVE À LA PUBLICITÉ DES MÉDICAMENTS CHIMIOPRÉVENTIFS destinés au corps médical, de concert avec les médecins intéressés et les groupes communautaires militants en santé.

MAINTENIR ET APPLIQUER L'INTERDICTION de la publicité directe aux consommateurs des médicaments d'ordonnance (PDMO) au Canada.

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Action pour la protection de la santé des femmes, en collaboration avec D.E.S. Action Canada, a publié cette brochure pour sensibiliser la population à l'importance des principes de santé publique en matière de prévention des maladies.

Cette brochure fait partie d'une série de publications examinant les nouveaux enjeux en matière de protection de la santé. Santé Canada procède actuellement à la refonte de la législation fédérale en matière de protection de la santé, incluant notamment la Loi sur les aliments et drogues et les lois sur les contaminants environnementaux. Alors que les intérêts des secteurs pharmaceutique, biotechnologique, alimentaire, chimique et nucléaire sont bien représentés à Ottawa, il est fondamental que les voix des citoyens et des citoyennes soient entendues. La grande priorité de la législation canadienne doit être celle de la « protection de la santé ».

Le D.E.S. (diéthylstilbestrol), est l'une des premières « pilules préventives » et l'un des pires désastres en matière de sécurité des médicaments. Au Canada, entre 200 000 et 400 000 femmes enceintes et leurs enfants ont été inutilement exposés à un médicament qui a eu des conséquences tragiques.

Le D.E.S. est le premier ostrogène synthétique. Entre 1941 et 1971, il a été prescrit aux femmes enceintes en Amérique du Nord (plus longtemps en Europe) pour prévenir les fausses couches. Bien que des études effectuées sur les animaux avaient fait la preuve que le D.E.S. était lié au cancer :


Galina: nous aimerions que les noms paraissent très bien.

Recherche et rédaction : Sharon Batt.

Édition : Barbara Mains et Anne Rochon Ford.

Concept de la série « Protéger notre santé Les nouveaux enjeux » : Rosanna Baraldi, D.E.S. Action Canada.


Information disponible sur les thèmes suivants : la surveillance des médicaments après leur mise en marché, la publicité directe aux consommateurs des médicaments d'ordonnance, l'harmonisation internationale des réglementations sur les nouveaux médicaments.

Pour mieux connaître Action pour la protection de la santé des femmes, consulter notre site web: http://www.whp-apsf.ca

Action pour la protection de la santé des femmes bénéficie du soutien financier du programme des Centres d'excellence pour la santé des femmes du Bureau pour la santé des femmes à Santé Canada. Les points de vue exprimés dans ce document ne représentent pas nécessairement la politique officielle de Santé Canada.


© Sharon Batt 2002


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DÉFINITIONS

La chimioprévention est la stratégie d'utilisation des médicaments à titre préventif.

Le principe de précaution, stipule que lorsque les données scientifiques permettent de croire qu'un nouveau traitement ou produit présente des risques, il ne doit être mis en marché que s'il existe des preuves convaincantes que les avantages l'emportent sur les risques et que les risques demeurent faibles. Selon ce principe, on fait porter le fardeau de la preuve à la partie à l'origine de l'activité le fabriquant - laquelle doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que l'innovation est sécuritaire - plutôt qu'à la société - qui devrait alors prouver que l'innovation n'est pas sécuritaire.

La santé publique, une spécialité médicale, cherche à déterminer et à prévenir les causes sociales et environnementales de la maladie. Elle se fonde sur l'épidémiologie, l'étude des maladies dans la population. Les préoccupations traditionnelles en matière de santé publique comprennent l'hygiène et l'approvisionnement en eau, la pollution de l'air et la pollution par le bruit, l'hygiène alimentaire, l'alimentation, les conditions d'habitation, ainsi que la santé et la sécurité au travail.

Le tamoxifène est un anti-ostrogène utilisé pour traiter les femmes souffrant de certaines formes de cancer du sein. Il est également utilisé pour réduire le risque de récurrence du cancer du sein. Aux États-Unis, à la suite d'un essai clinique controversé, ce médicament peut désormais être prescrit aux femmes en santé encourant un risque élevé de développer un cancer du sein afin de réduire leur risque à court terme.

L'évaluation des risques est un cadre politique créé par l'administration Reagan. Il est maintenant utilisé par les gouvernements du monde entier, y compris au Canada, pour l'élaboration des politiques en matière de santé et d'environnement. Selon cette approche, le risque fait inévitablement partie de l'existence. Au moyen d'un processus appelé la « gestion des risques », les décideurs déterminent quels sont les niveaux de risque acceptables.

La gestion des risques utilise le principe ALARA, selon lequel les expositions à des substances potentiellement dangereuses doivent être maintenues au niveau le plus bas qu'il est raisonnablement possible d'atteindre, en tenant compte des facteurs socio-économiques.

Une maladie iatrogène est une maladie causée par un traitement médical.


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Notes

1 B. Fisher, J.P. Costantino, et al. "Tamoxifen for Prevention of Breast Cancer: Report of the National Surgical adjuvant Breast and Bowel Project P-1 Study," Journal of the National Cancer Institute, 1998, 90: 1371-88. En mars 2002, les résultats préliminaires d'un essai clinique similaire en Angleterre ont montré une diminution de 33 % du risque de cancer du sein et 2 à 3 fois plus de risque de cancer de l'endomètre et de caillots sanguins. Voir : http://sci.cancerresearchuk.org/studies/mse/ibis/publs.html

2 Adriane Fugh Berman, « Tamoxifen in Healthy Women: Preventive Health or Preventing Health? », National Women's Health Network News, Septembre/Octobre 1991, p 3.

3 Les chiffres sur le Premarin proviennent des données de IMS Health and IMS Health Canada. Les conclusions du panel international sur la santé des femmes et la ménopause sont rapportées dans "Doubts cast on hormone therapy: drugs may not stave off ailments after menopause" by Denise Grady, the New York Times, April 19, 2002.

4 Jake Epp, Achieving Health for All: A framework for health promotion. Ottawa, 1986, p.5.

5 Centers for Disease Control, « Ten Great Public Health Achievements - United States, 1900-1999 », MMWR, 2 avril 1999, Vol. 48, No 12, p. 241.

6 Weijer, C., Our Bodies, Our Science. The Sciences, mai/juin 1995, p.43.

7 VanderZwaag, D., « The Precautionary Principle in environmental law and policy: Elusive rhetoric and first embraces », Journal of Environmental Law and Practice. (1999) 8: 355-375.

8 Robert N. Proctor, Cancer Wars: How Politics Shapes What We Know and Don't Know About Cancer, Basic Books, 1995, p. 84.

9 Mary O'Brien. Making Better Environmental Decisions. Cambridge, MA:MIT Press, 2000, p. 89.

10 Dr. Michael Wade, La santé et l'exposition des humains à des produits chimiques qui perturbent la physiologie des ostrogènes, des androgènes et des hormones thyroidiennes. Division de la toxicologie environnementale et professionnelle, Direction de l'hygiène du milieu, DGPS, Santé Canada, 1998.

11 Saunders, PT, « Use and abuse of the Precautionary Principle », présentation de l'Institute of Science in Society (ISIS) devant le comité consultatif américain sur la politique économique internationale, Londres, 13 juillet 2000.

12 Cancer Wars, p. 87.

13 Sherwin, S. « A relational approach to autonomy in health care », dans The Politics of Women's Health: Exploring Agency and Autonomy. Philadelphia, Temple University Press, 1998, pp 19-47.

14 Ibid, pp 29-30

15 En 2002, la Direction générale des produits de santé et des aliments (DGPSA) a annoncé son intention de créer un Comité de consultation publique (CCP) qui pourrait compter jusqu'à 15 membres représentant le « public ». Le CCP fournira des conseils à la sous-ministre adjointe concernant les activités et les problématiques de la DGPSA. Selon le site web de Santé Canada, le CCP « est une composante de la stratégie de la Direction générale visant à accroître la transparence et la participation du public, par l'intermédiaire des processus de consultation ». Au moment où nous terminions la rédaction de cette brochure (octobre 2002), le CCP n'était pas encore en fonction. Nous souhaitons que cette nouvelle structure permette aux groupes de femmes qui ne font pas partie des instances gouvernementales d'influencer les décisions s'appliquant aux politiques en santé de manière significative. Voir:http://www.hc-sc.gc.ca/hpfb-dgpsa/pac_tor_f.html


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