EVRA ET L'ENVIRONNEMENT

(Analyse détaillée des effets d'un produit sur l'environnement. Complément à la fiche d'information La présence de médicaments dans l'eau : y a-t-il danger pour la santé publique? d'Action pour la protection de la santé des femmes)

Rédigé par Suzanne Elston pour Action pour la protection de la santé des femmes
Septembre 2004

 

Le timbre contraceptif Evra est le premier contraceptif de ce genre à avoir été approuvé au Canada. Le fabricant de ce dispositif transdermique, mis en marché en 2002, met l'accent sur son côté pratique. Or, les timbres contiennent, même après usage, une grande quantité d'une hormone synthétique persistante qui peut provoquer une féminisation des poissons mâles . Chaque timbre contient, en effet, 6,0 mg de norelgestromine et 0,60 mg d'éthinylœstradiol et en libère quotidiennement 150 mcg et 20 mcg respectivement. Au moment de changer de timbre, après sept jours, il reste donc 4,95 mg de norelgestromine (ou 82,5 %) et 0,46 mg d'éthinylœstradiol (ou 76,7 %). Selon Janssen-Ortho, le fabricant du timbre Evra, les timbres doivent contenir plus que la dose hebdomadaire nécessaire pour que l'administration du médicament soit efficace. Le gaspillage est donc inévitable.

Si les utilisatrices suivent les instructions du fabricant et jettent les timbres usagés à la poubelle, après les avoir pliés en deux, l es substances actives hormonales restantes peuvent s'introduire dans l'environnement et polluer les cours d'eau. En Europe, le timbre est vendu avec un sachet pour l'élimination sécuritaire. Est-ce suffisant pour empêcher que les hormones ne s'infiltrent dans l'environnement ? On l'ignore, mais une telle précaution fait ressortir un point important : les instructions sur l'élimination des timbres tiennent compte uniquement des règlements locaux en la matière. La « santé » de l'écosystème n'est pas un critère.

Le timbre Evra n'est pas le seul médicament à être mis sur le marché au Canada sans que son cycle de vie complet ne soit analysé. Le NuvaRing - un anneau vaginal jetable - sera vendu au Canada dès 2005. En Europe, le fabricant a dû se plier à des normes environnementales rigoureuses en matière d'élimination sécuritaire. Aux États-Unis, chaque emballage contient un avertissement ainsi qu'un sachet en pellicule d'aluminium refermable. Au Canada ? Eh bien, le fabricant du NuvaRing, Organon Canada, préparera les instructions sur l'élimination en fonction des règlements environnementaux en vigueur à ce moment-là.

Ces deux produits font ressortir une grave lacune dans le processus d'approbation des médicaments au Canada : l'élimination sécuritaire des médicaments. Ainsi, on a autorisé la mise en marché de ces deux produits pharmaceutiques en se fondant sur leurs applications médicales, mais sans tenir compte de leur effet durable sur l'environnement. Pourtant, ce facteur influe sur notre santé. Cette lacune découle du fait que Santé Canada - le ministère responsable de l'approbation des médicaments - ne réglemente que l'élimination des substances contrôlées (illégales ou non).

L'étude de l'impact environnemental des médicaments est principalement du ressort des ministères provinciaux de l'environnement. L'élimination proprement dite des produits pharmaceutiques dangereux incombe soit aux autorités municipales (programmes de gestion des déchets urbains), soit à des entreprises agréées d'élimination des déchets médicaux/dangereux (programmes de récupération des médicaments inutilisés). Résultat : un conflit de compétences créé par la présence de nombreux intervenants (fédéral, provincial, ministères, municipalités, secteur privé). Malheureusement, la plupart des médicaments d'ordonnance, y compris ceux renfermant des hormones de synthèse (ou perturbateurs endocriniens), ne sont pas classés parmi les déchets dangereux.

Comment se fait-il que des médicaments tels que le timbre Evra ne fassent pas l'objet d'une évaluation environnementale avant d'être mis sur le marché? Tout simplement parce que les règlements adoptés par Santé Canada ne l'exigent pas. Certes, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE), adoptée en 1999 et administrée par Environnement Canada, veille à la protection de l'environnement. Mais, les règlements y afférents ne tiennent pas compte des problèmes particuliers de pollution liés aux produits pharmaceutiques. D'ailleurs, ni Environnement Canada ni Santé Canada n'ont soumis le timbre Evra ou d'autres produits pharmaceutiques à ces règlements.

Les substances chimiques qui entrent dans la composition des produits pharmaceutiques s'infiltrent dans la nappe phréatique, puis se répandent dans l'environnement. Bien que nos connaissances sur l'effet des polluants bioaccumulatifs sur la santé de l'écosystème soient limitées, elles nous permettent toutefois d'affirmer que leur présence dans l'environnement est inacceptable. Ce que nous consommons finit, tôt ou tard, par se retrouver dans les égouts. Malheureusement, il n'existe pas, à l'heure actuelle, de mécanisme permettant de réduire la quantité de médicaments rejetés dans l'environnement après consommation, voire de les éliminer complètement. Nous disposons toutefois d'un moyen d'action : empêcher que des médicaments inutilisés ou périmés ne se retrouvent dans l'écosystème. Prenons le timbre Evra comme exemple.

Premièrement, il faut sensibiliser la population. Et ceci commence par l'emballage : l'étiquetage doit être clair et lisible. Il importe, en effet, que les femmes comprennent l'importance d'éliminer de façon sécuritaire les timbres, car ils contiennent, même après usage, une quantité importante d'hormones. (Ceci soulève une question importante : est-il sage de vendre ce produit étant donné qu'il existe d'autres moyens de contraception bien plus écologiques ?) Les utilisatrices ne doivent pas jeter les timbres usagés dans la toilette. Elles doivent aussi les garder hors de la portée des enfants et des animaux de compagnie.

Deuxièmement, il faut réglementer. Au Canada, tous les paliers de gouvernement doivent souscrire à l'application de l'approche écosystémique au processus d'approbation des médicaments. Il ne suffit pas de se préoccuper de l'innocuité, de la consommation et de l'efficacité des médicaments, il convient aussi d'en évaluer les incidences environnementales (l'entrée du médicament dans l'écosystème et son interaction avec d'autres médicaments et d'autres polluants). C'est d'ailleurs la voie que suit l'Initiative sur l'impact environnemental. Ce programme fédéral, qui s'appelait auparavant « Projet de Règlement sur l'évaluation environnementale », comprend trois volets : modifications aux règlements, recherche et éducation publique. Malheureusement, l'élaboration des règlements avance à pas de tortue; aussi est-il peu probable qu'ils entrent en vigueur au cours des prochaines années. Par conséquent, pour assurer l'efficacité de cette démarche, l'examen des facteurs environnementaux doit faire partie intégrante du processus décisionnel des gouvernements, au même titre que l'examen des facteurs économiques. Pour ce faire, les ministères provinciaux et fédéraux de la Santé et de l'Environnement doivent se concerter afin d'harmoniser leurs règlements.

Troisièmement, il faut repenser l'élimination des produits pharmaceutiques, car les envoyer à la décharge n'est pas une option. Il existe, à l'heure actuelle, des programmes de récupération des médicaments dans plusieurs pharmacies au pays. Ces programmes sont soumis à des règlements provinciaux qui prévoient l'élimination sécuritaire des médicaments par une entreprise agréée et selon l'une des méthodes suivantes : incinération ou autoclavage et enfouissement. L'incinération des déchets médicaux, contrairement à celle des déchets ordinaires, est soumise à des normes beaucoup plus rigoureuses sur les émissions et la combustion. Ce procédé est donc beaucoup plus écologique que l'enfouissement des déchets ou le rejet dans les égouts. Il est toutefois bien plus onéreux : incinérer des déchets coûte dix fois plus cher que les enfouir. Une facture salée que les pharmacies assument entièrement à l'heure actuelle. En général, les pharmacies doivent payer pour le ramassage des médicaments (frais fixes) et pour l'enfouissement (coût par livre). Elles peuvent refuser certains produits pharmaceutiques usagés et périmés, en particulier ceux qu'elles n'ont pas préparés.

Malheureusement, même si l'on récupérait ainsi tous les produits pharmaceutiques déjà utilisés, cela ne représenterait, selon un cadre supérieur en gestion des déchets, qu'environ 10 % du volume total de médicaments d'ordonnance qui sont mis en décharge contrôlée. Les pharmaceutiques envoient le reste directement dans les décharges - en toute impunité! En effet, aucun règlement n'interdit l'élimination de déchets non dangereux. Or, la majorité des produits pharmaceutiques, dont les hormones de synthèse, entrent dans cette catégorie. La solution? Un cadre de réglementation pancanadien qui tient compte du cycle de vie complet des produits pharmaceutiques.

Deux options s'offrent aux consommatrices et aux consommateurs soucieux de protéger l'environnement. Il y a d'abord les programmes de récupération des médicaments et produits pharmaceutiques. Rappelons-nous le grand succès qu'avait remporté le programme de récupération de thermomètres à mercure d'Environnement Canada. On offrait aux personnes qui rapportaient leur thermomètre un rabais de 10 $ à l'achat d'un thermomètre numérique. Les pharmacies et les fabricants s'étaient partagés le coût de ce programme, Pourquoi ce programme a-t-il si bien réussi? Parce qu'il était avantageux sur le plan économique, tant pour les pharmacies que pour les fabricants.

La deuxième option consiste à recourir aux programmes municipaux de récupération des déchets ménagers dangereux. Même si les produits pharmaceutiques usagés et périmés ne sont pas, à proprement parler, des déchets dangereux, il est possible de les apporter aux centres de récupération des déchets dangereux, au même titre que les produits chimiques pour la maison et les piles usagées.

On finit par obtenir ce que l'on revendique. Dénoncez la situation actuelle. Appelez votre député fédéral, votre député provincial et votre conseiller municipal. Appelez les sociétés pharmaceutiques (on trouve généralement un numéro sans frais sur les étiquettes des produits) et exigez l'adoption de politiques écologiques en matière de gestion des déchets.

Faites entendre votre voix!

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Glossaire

Transdermique
Se dit d'un produit pharmaceutique libéré en continu dans l'organisme à travers la peau. Cette méthode facilite l'absorption de certains médicaments.

Perturbateur endocrinien
Composé qui perturbe la production, la libération, le transport, la métabolisation, la fixation et l'élimination des hormones dans le corps.[Notre traduction] Définition proposée par Theo Colborn, auteure de L'homme en voie de disparition ?

Bioaccumulation
Processus au cours duquel les substances toxiques s'accumulent en concentrations de plus en plus grandes à mesure qu'elles passent d'un niveau trophique à un autre .

Autoclavage
Stérilisation par vapeur sous pression de vaccins, de médicaments et de déchets biomédicaux. Ce procédé ne détruit ni ne réduit les déchets, qu'il faut quand même envoyer à la décharge.

 

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